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Boursonomics

  • : Boursonomics
  • : Marche aléatoire autour des Marchés financiers et de la sphère économique. Peinture décalée d'un monde empli de certitudes qui oublie trop souvent ses leçons d'Histoire
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13 août 2012 1 13 /08 /août /2012 20:12
 
Changement d'ère-copie-6Le krach des krachs, qui expédia Wall Street au tréfonds à l’automne 1929, marqua durablement les consciences et stérilisa l'initiative financière pendant un bon quart de siècle. Puis, de nouveaux professeurs
- Les Maîtres enchanteurs -

(...) Au printemps 1952, le Journal of Finance fit imprimer un mémo de quatorze pages, Portfolio Selection, qui fera le renom d’Harry Markowitz un doctorant de Chicago : quelques années plus tard, ce compte-rendu formalisera la théorie moderne du portefeuille. L'idée de Markowitz fut de lier la rentabilité au risque pour isoler à chaque fois un portefeuille optimal, le plus adapté aux vues de l'opérateur, selon que celui-ci élirait une rentabilité maximale pour un risque donné ou, contrairement, un risque minimal pour un rendement donné. Le difficile était la mesure : chaque étape du calcul ajoutait au trouble, d'inconnues insaisissables en hypothèses changeantes, vers d'improbables applications (...)

- Boursonomics 31/03/2007 -
survinrent, comme Harry Markowitz ou Paul Samuelson, qui accréditèrent le songe que le risque pouvait être mathématiquement maîtrisé. Le Dow Jones embraya ; à partir de 1954, un modeste boom naquit outre-Atlantique de ce regain de confiance, dans un climat économique propice, et la décennie qui suivit alterna hausses spéculatives et chutes modérées. De jeunes analystes apparurent à l’unisson, les Go-Go boys, dont on attribua bientôt les succès, globalement peu contestés par les Marchés d’alors, à une approche atypique et plus contemporaine des choix d’investissement, bref, à un ressenti plus aigu du fait boursier 1. L’époque avait changé, les méthodes avaient changé, et c’eût été assurément commettre un péché d’anachronisme que de comparer les pratiques d’avant-krach avec la nouvelle modernité. Comme toujours, la mémoire oublieuse et le goût spéculatif scellèrent les temps anciens.

En mai 1955, US News and World Report écrivit : « Une fois de plus ce sentiment d’être dans une ère nouvelle nous envahit. Les gens sont confiants, l’optimisme est partout et les inquiétudes sont oubliées
2 ». Le Dow Jones s'apprécia, et sa hausse, quasiment à l’à-pic, fut remarquable entre 1963 et 1966 ; un panégyrique, paru en 1965 sous le titre « Une nouvelle génération de gestionnaires d’argent », célébra la gloire d’une quinzaine de spécialistes, tous trentenaires, qui cassaient la baraque 3. Ces fameux Go-Go boys, ainsi nommés parce que leur politique de placement était aussi endiablée que le rythme auquel se trémoussaient  les danseuses de cabaret à moitié nues, obtenaient des résultats inouïs. Fred Mates  - Peut-on battre le Marché ?  -
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(...) Battre le Marché ! Toutes les études aboutissent à des résultats remarquablement uniformes, et de longue date ! Depuis Alfred Cowles, qui s’échina un demi-siècle durant à prouver la supériorité du Marché sur les praticiens, cette croyance en la chose possible aiguillonne toutes sortes de services financiers ; des survivants apparaissent, petitement comptés, à la réussite éphémère. En 1968 par exemple, le fonds de Frederick Mates surpassa tous les autres, engrangeant plus de 150% sur l'année, puis fut englouti dans le marché baissier des années qui suivirent : fin 1974, il avait perdu 93% de sa valeur. Tant d'efforts si peu distingués, tant de génie à la merci de la première infortune ! (…)
──────────────────────────     - Boursonomics 14/01/2008 -
, icône de ce temps, oublié aujourd’hui, étaient de ceux-là, tout comme Fred Carr 4, un proche de Michael Milken, le roi des junk bonds, qui seul survivra. Ces jeunes loups, acclamés par la presse, défiaient la gravité, et leurs performances forçaient l’estime grâce à une gestion dynamique et des arbitrages constants de portefeuille. Mais quand le marché périclita, entre 1969 et 1976, le sauve-qui-peut fut général 5, parfois banqueroutier. La nouvelle ère, celle d’un stock picking impétueux, ne différait de la précédente que dans la forme : elle exigeait bonnement que la Bourse fût à la hausse, pour acheter ce qui monte, car ce qui monte a sûrement des raisons de le faire.
Deux chocs pétroliers plus tard, et après que Paul Volcker eut fini à la dure une inflation à deux chiffres, la reprise américaine s’annonça enfin en août 1982. « America is back ! » clama alors Ronald Reagan à Atlanta, en 1984. Ironie de l’Histoire, ce fut à ce fervent admirateur de Calvin Coolidge 6 dont la présidence avait préludé au Grand Krach, qu’il revint d’inaugurer l’ère nouvelle et la prospérité pour tous. L’économie changea de paradigme. Le temps vint alors des Yuppies, des Golden Boys, des Dinks 7-1, virtuoses du trading de haut vol qui flamboieront de mille feux et dont quelques-uns comme Dennis Levine, Ivan Boesky ou encore Michael Milken, finiront sous les verrous. Ce temps fut celui des fameux junk bonds, obligations pourries qui alchimiseront la dette  - Les alchimistes de la dette  -
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(...) Le régent de France Philippe d’Orléans, qui expédia les affaires courantes entre le défunt Roi Soleil, à la progéniture dévastée, et son successeur Louis XV, un lointain arrière-petit-fils, était mieux connu pour son épicurisme débordant que pour l’acuité de son intellect : sa capacité à restaurer les finances du royaume, éprouvées par les grands desseins antérieurs, se mesurait à la qualité de ses conseillers, entre catins et abbés. Il se convainquit néanmoins d'agir : le 2 mai 1716, il octroya à un écossais talentueux qui avait étudié l’économie, le droit d’établir une banque. Et John Law se tailla bientôt pour l'éternité son costume de banqueroutier émerite au Royaume de France (…)
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    - Boursonomics 07/05/2007 -
, celui aussi d’une déferlante de produits financiers
7-2
propulsés par des ordinateurs dont Harry Markowitz n’eût même pas rêvé quand il conçut sa théorie du portefeuille. Signe ultime de l’épisode spéculatif naissant, l’austère Wall Street Journal se mit à circuler en ville, et devint bientôt le plus lu des quotidiens américains ! Début 1987, Galbraith parla dans The Atlantic d’un « jour de vérité (…) où le Marché tombera apparemment sans limites ». La fascination spéculative allait crescendo : le pire n’allait plus tarder. Galbraith notait dans le même article : « Le génie financier précède la chute ». Laquelle advint le 19 octobre.
Une décennie encore, et Internet, le réseau des réseaux, survint, prêt à tisser sa toile. En 1997, quatre ans après sa première Une 2, le Web toucha son public : le NASDAQ se cabra aussitôt ! Cet engouement pour le progrès, que l’on sacrait sur l’autel numérique, n’était pas nouveau : on l’avait déjà vu à l’œuvre, entre 1921 et 1929, avec l’action Radio Corporation of America 8. La même universalité surgissait, prometteuse d’une Nouvelle Economie qui abattrait les principes établis, jusqu’à périmer leurs règles d'évaluation        - Persona non grata  -
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(…) Les vives variations des cours boursiers étonnent toujours : des entreprises sont portées au pinacle, clouées au pilori, quelquefois sans motif apparent, au fil d'évaluations parfois totalement grotesques, qui défient le sens commun et nous ébahissent. L’épisode spéculatif est le témoin de ces liesses, le krach, leurs points d’orgue : les cours prennent alors congé du réel avec une constance admirable. Ainsi, à l’aube du millénaire, l’air du temps commença-t-il par expédier des étoiles technologiques vers des culminations dont on disait qu’elles seraient bientôt dépassées, mais qu’on vit aussi bien s’effondrer à grand fracas. Alcatel évita le pire, c’est-à-dire le zéro absolu (…)
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     - Boursonomics 05/11/2006 -
. L’euphorie gagna, puis submergea tout. Des analystes, parfois de simples escrocs, aveugles à perte de vue, poussèrent à la roue. Des dot.com firent afficher des capitalisations épiques qui eussent pourtant mieux supporté le zéro absolu : ainsi Amazon, qui vit son cours grimper de 966% en 1998 sans avoir dégagé le moindre profit depuis 1993 ! Wayne Angell, ancien gouverneur de la Réserve Fédérale très écouté à Wall Street, déclara : « Il n'y a pas de bulle : nous sommes tout simplement parvenus à l'économie de la nouvelle ère, celle où les technologies de l'information et une politique monétaire saine alimentent une croissance non inflationniste à long terme 9
». Roger Ibbotson, de Yale, vit le Dow Jones rallier 120.000 points vers 2025 ; deux vendeurs d’orviétan, à peine plus réservés, publièrent un « Dow 36.000 10 ». Le reste est dans toutes les bouches.
Le commun, qui fait les cours, est probablement plus à l’écoute des progrès techniques,  qui changent la vie, que des perspectives de croissance de l’économie ou de taux du banquier central. L’expansion boursière n’est jamais éloignée quand de tels rendez-vous sont possibles : l’intendance financière, toujours l’arme au pied, et des vivats du sérail    - Les pyramides de Ponzi -
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(…) Robert Shiller compara la bulle Internet à la finance Ponzi ; avivée par les industries du courtage et de la gestion collective, l’enthousiasme hameçonnait de nouveaux clients, appâtés par la hausse des marchés. La durabilité du boom était attestée par des rabatteurs, convaincus ou convertis, économistes compris, qui menaient l’enrôlement des troupes. Les investisseurs accouraient en nombre, embrasant des cours déjà surchauffés. Le comble du cynisme fut atteint en dernier lieu, lors de la crise subprime aux Etats-Unis : au faîte des crédits risqués, les ultimes victimes furent les attributaires des prêts baptisés « Ninja ». La finance spéculative est la norme, la finance Ponzi est en flanc-garde (…)
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    - Boursonomics 17/02/2008 -
suffisent alors pour déclencher l’épisode spéculatif. La titrisation, dernier avatar connu, qui aurait rendu le capitalisme plus stable en assurant à la fois un risque faible car massivement disséminé, de hauts rendements et un logement pour tous, était bien de cette veine. Las, les cours ne manquent pas de s’emballer, suivis d’appels à la prudence, généralement snobés. « Où est donc le groupe d’hommes auquel son infinie sagesse donnerait le droit d’opposer son veto au jugement de cette multitude intelligente ?
8 » railla Joseph Stagg Lawrence en 1929. L’euphorie spéculative n'abdique pas si facilement devant l’exhortation à la retenue ! La nouvelle ère change la donne, elle exténue l’expérience passée, au point que rien ne s’apprécie plus selon les canons qui valaient hier encore : non démentis, les cours valsent ! Certes, comme le note André Orléan, le monde social non stationnaire rend l’inférence statistique incertaine 11. La survie boursière de l'ère nouvelle ne semble donc tenir qu'à la puissance des intérêts coalisés dans la bulle, qui fait la claque.   
Les progrès de l’espèce, de quelque nature qu’ils soient, sont nombreux depuis la nuit des temps, qui ont amélioré graduellement le confort de vie des individus et accourci les risques du lendemain. Chaque jour qui passe forcit ses espoirs d’aller plus loin encore. Cependant, ce concept d’ère nouvelle, quoiqu’assez universel, paraît davantage plaire aux économistes et aux financiers amnésiques : ceux-ci ne manquent en effet jamais d’en faire des gorges chaudes quand l’occasion vient d’une bonne ventrée spéculative.    
 

 
(1) John Kenneth Galbraith (1990) - « Brève histoire de l’euphorie financière »
 
Page 89 : «  Reflets de l’optimisme ambiant, de jeunes spéculateurs en Bourse, notamment les Go-Go boys des années soixante, furent crédités par d’autres et, comme toujours par eux-mêmes d’une approche nouvelle et hautement originale de la détermination des occasions d’investissement. Des revers relativement peu douloureux vinrent de temps à autre, notamment en 1962 et en 1969, corriger, en partie au moins, leur erreur. »
 
 (2) Robert Shiller (2000) - « Exubérance irrationnelle »
 (3) Pierre Balley (1987) - « Mythes et réalités »

 
Page 196 : «  Dans les années 1965, alors que Wall Street volait de record en record, un opuscule américain, sous le titre ‘ Une nouvelle génération de gestionnaires d’argent ‘, faisait le portrait d’une quinzaine de brillants spécialistes. Même classe d’âge, la trentaine, même formation universitaire, même principe de gestion : acheter ce qui monte, car ce qui monte a des raisons de monter, et il y aura toujours plus d’argent que de titres disponibles dans les valeurs de qualité. Un seul d’entre eux a survécu [ndla Fred Carr] aux bourrasques qui ont suivi. Les autres se sont retrouvés barman ou vendeurs de hot-dogs. »
 
(4) Compilation de diverses sources Internet, notamment de l’Université d’Etat de San José
 
Fred Carr fit ses premières armes financières comme stagiaire chez Bache & Co, en 1957, et, peu après, au début des années 1960, fonda Enterprise Fund, un mutual fund qui rencontra un grand succès. Dans les deux premières années, le fonds s’apprécia de 20 à 800 millions de dollars, ce qui le plaçait en tête de liste de sa catégorie. En 1970, la main passa, et le fonds dégringola à la 339éme place des 379 mutual funds qui opérèrent cette année-là. Carr se débarrassa de son officine de gestion que la SEC ferma temporairement à cause d’irrégularités. En 1974, il fut appelé à gérer la First Executive Insurance : il se rapprocha alors de Michael Milken pour devenir l’un de ses gros bailleurs de fonds : à la fin des années 1980, First Executive se portait en effet acquéreuse chaque année de quelque 2,5 milliards de dollars de junk bonds à Drexel Burnham Lambert.
 
(5) Burton Malkiel (2005) - « Une marche au hasard à travers la Bourse  »
(6) Source Wikipédia
 
Le portrait de Calvin Coolidge, président de 1924 à 1930, fut retiré de la Maison-Blanche en raison de sa responsabilité dans la Grande dépression de 1929. Il fallut attendre la présidence de Ronald Reagan, le restaurateur du néo-libéralisme économique, pour que ce tableau retrouve sa place.
 
(7) François Camé, Frédéric Filloux (1988) - « Le jour le plus bas »
 
Page 43 : « Peu de temps avant les jours sombres d’octobre 1987, on ne parlait que (…) des Golden Boys, Girls ou même Children. A leur début, ils constituèrent l’élite de la génération Yuppies (Young Urban Professionnal). Plus tard, quelques-unes de ces âmes passionnées (…) formèrent des couples appelés Dinks (Double Income No Kids : double revenu pas d’enfants). »
 
Page 52 : « Dans le Mac Millan ou le Cox, t’as des bearish et des bullish à chaque coin de page. Toutes les techniques, les nouveaux produits viennent des Etats-Unis et comme il s’en crée chaque matin, il y a un nouveau terme par jour, alors on n’a pas le temps de le traduire. C’est déjà assez trapu au niveau des maths : sur les options, toutes les charges ont dû engager des ingénieurs pour construire les modèles. Moi ? J’ai fait Centrale. » - «Do you speak Golden Boys ? » Libération du 23/10/1987.
 
(8) John Kenneth Galbraith (1954) - « La crise économique de 1929 »
(9) The Wall Street Journal, le 03/02/1999 - « The Bubble Won't Burst »
(10) James Glassman, Kevin Hassett (1999) - « Dow 36000 : The new strategy for profiting from the coming rise un the Stock Market »
 
(Ndla) -L’indice Dow Jones Industrial avoisinait  11.000 points lors de la parution de l’ouvrage ;  son niveau actuel (Août 2012) est de l’ordre de 13.000 points.
 
 (11) André Orléan (2011) - « L’empire de la valeur »
 

 
 
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21 mars 2010 7 21 /03 /mars /2010 00:52



Louis-Philippe-copie-8.jpgLouis-Philippe de France, né d’Orléans aura été le second 1, et donc le dernier roi des Français, dirait-on-mieux, de quelques Français. Certes, mille ans de monarchie héréditaire avaient montré combien l’Ancien Régime considérait peu ceux qui n'étaient pas de ses quartiers, mais rarement monarque ne laissa le souvenir d’une pareille inclination à gouverner pour quelques-uns, affairistes et bourgeois, enrichis à la volée, au détriment de tous les autres, la commune multitude à laquelle son titre devait tout autant. Et, cependant que les classes ouvrières, harassées, grondaient, la Bourse de la rue Vivienne resplendissait déjà de mille feux. Pierre-Joseph Proudhon, un témoin de l'époque, rapporta que jamais la hausse n’avait été aussi inébranlable que dans les dernières années du règne, et que le fléchissement des salaires et la multiplication des faillites ne s’étaient exprimés avec plus d’énergie
2 ! Ah, quelle belle et ancienne tradition ! Le Roi bourgeois ne roula bientôt plus carrosse que pour s'exiler, et « la dernière image que l'on garde de lui est celle d'un capitaliste éperdu, balbutiant dans le désastre, réclamant son portefeuille, ses clefs 3 ».

 

Cet éloignement du consensus boursier au réel, jusqu’à son actualité la plus récente, nous en dit beaucoup sur cet autre genre de despotisme éclairé qu’est l’absolutisme des Marchés. Quelle théorie matérielle saurait-elle en effet ne pas déchoir, qui essuyât les rebuffades permanentes de l'ordinaire, attestées et contre-indiquées par l’Histoire elle-même ? Bah, les arènes financières avalent ce calice tout d’un trait, inondées de scolastique et d’assez de casuistes pour nous en rebattre ! Prétendument au diapason, mieux, en anticipation du contexte économique, celles-ci n’ont à peu près jamais, ou par accident, épousé l’air ambiant. Ce qui valait sous Louis-Philippe, pour ne rien dire des ébats antérieurs qui fustigeaient l’Empereur plus que l’économie du pays, s’est peu démenti ensuite : les cours virevoltent suivant une logique propre qui s’autocatalyse, parfois à la fureur, et le fumet qui s’en exhale tient souvent davantage de l’épisode spéculatif que du « tâtonnement walrassien » vers le prix optimal. L'exubérance irrationnelleExubérance, conundrum et autres menues incertitudes

Comme toujours, on ne sentit rien venir. Chacun avait l'œil à ses affaires, et les places financières soufflaient un peu depuis le début de l’automne. En ce 5 décembre 1996, les corbeilles européennes conclurent sur une note ordinaire. Tout au plus remarqua-t-on que la Bundesbank avait renoncé à une baisse de ses taux directeurs sans alarmer personne. Le lendemain, tous les marchés plongeaient : à Francfort, l'indice DAX se replia de 4,05%, et l'appréhension gagna la planète entière. Partout on recula. Mais la Bundesbank n’y était pour rien : un certain Alan Greenspan, quartier-maître de la Fed, y était allé de son couplet sibyllin (…)


 des corbeilles, mais aussi, a contrario, son corollaire dépressif, sont ainsi les compagnons de route des Marchés boursiers, n’en déplaise aux zélateurs qui préfèreraient que ces écarts de conduite fussent plus anecdotiques, ou à tout le moins plus annonciateurs d’un avenir. Rien n’y fait : le système limbique des opérateurs se contrefiche des dehors économiques.

Les exemples abondent qui montrent combien la Bourse ne reflète qu'épisodiquement la conjoncture. Et, quitte à heurter le sens commun, c’est-à-dire l’orthodoxie qui certifie la sécularité des Marchés et vaticine jour après jour sur leur prétendue vista, rien n’apparaît moins corrélé à la situation économique que les Bourses. L'espoir que Charles Dow, créateur du Wall Street Journal, caressa sûrement, qui eût consacré l'indice éponyme new-yorkais comme baromètre universel des temps modernes, restera donc à l'état de vœu pieux : résumant sa pensée, William Hamilton, son successeur à la direction du journal, ira jusqu’à déclarer que «
le Dow Jones est suffisant en lui-même pour révéler tout ce qu'il y a à savoir sur la conjoncture économique » 4. On ne pouvait mieux dire : las, les opérateurs seront pris de court en 1929, quand les valeurs s'effondreront de 90% en quelques jours ; le Dow Jones, qui avait déjà pris congé du réel, n'avait rien révélé qui fût hors de proportion. Il s’afficha plus en phase pendant la dépression qui suivit : tout le monde était ruiné ! On se refit mais on n'épousa pas mieux la nouvelle ère         - Changement d’ère -
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(...) Le krach des krachs, qui expédia Wall Street au tréfonds à l’automne 1929, marqua longtemps les esprits et stérilisa l'initiative financière pendant un bon quart de siècle. En mai 1955, US News and World Report écrivit : « Une fois de plus ce sentiment d’être dans une ère nouvelle nous envahit. Les gens sont confiants, l’optimisme est partout, les inquiétudes oubliées ». Le Dow s'apprécia, et sa hausse, presqu'à l’à-pic, fut remarquable entre 1963 et 1966 L’époque avait changé, les méthodes rénovées, et c’eût été assurément commettre un vilain péché d’anachronisme que de comparer les usages d’avant-krach avec la modernité des temps. La mémoire oublieuse fit le reste (…)
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  - Boursonomics 13/08/2012 -

 : ainsi, longtemps après, tel qui avait investi 100 dollars à New York en 1985, disposait fin 1995 de 360 dollars, inflation déduite, tandis que le salarié américain, qui gagnait 100 dollars en 1985, n'en gagnait que 107 dix ans plus tard
5. Tout le monde ne peut aller à Corinthe !

Retour en France. Le 20 mars 1962, au lendemain des accords d’Evian, l’indice national atteignit son plus haut niveau historique, non sans avoir perdu un quart de sa valeur entre novembre 1957 et mars 1958, en plein émoi algérien. Malgré cet intermède, la corbeille de Brongniart décupla au cours de douze années de hausse quasi ininterrompue, et multiplia par six le pouvoir d’achat d’un pécule placé en son sein. Mais dans le même temps, la production industrielle ne fit que doubler 6. Georges Pompidou, futur président de la République, qui descendait du gaullisme par la banque 7 Rothschild, s’en émut même : « La Bourse a trop monté » clama-t-il ! Les choses s’inversèrent. Entre 1962 et 1978, durant la seconde moitié de cet âge d'or que furent les Trente Glorieuses, qui virent l’hexagone plongé dans les délices d’une croissance sans précédent, exceptionnelle et constante, de l'ordre de 4,5% par an, la Bourse de Paris connut seize années de crise : l'indice baissa de 75% en francs constants quand le PIB doublait en volume 8 ! Un peu plus tard, au crépuscule du siècle, le CAC 40 culmina en septembre 2000, à 6.922 points, en progression de 275% par rapport à 1995, à mille lieues de la conjoncture française. Un demi-siècle de contresens, et nulle anticipation qui vaille devant l’Histoire, jusqu’aux frauduleuses hausses de la Nouvelle Economie, qui annoncèrent surtout qu’on allait beaucoup rebrousser.


Les récents millésimes se contentèrent quant à eux de ne pas voir qu’on allait assez pâtir : en juillet 2007, le Dow Jones culbuta les 14.000 points, et chacun attendait qu’il s’attaquât aux 15.000 points, nonobstant la faux du crédit déjà très affûtée. Les optimistes patentés, secondés par un Ben Bernanke qui chiffra l’aléa à une petite cinquantaine de milliards de dollars 9, n’ayant d’yeux que pour l'à-pic des indices, s'avisèrent mieux de flétrir les Cassandre que de conjecturer l'embarras futur. Car, l'oracle boursierL’art borgne de la divination

Fontenelle dit que Démosthène se plaignait des oracles de Delphes, qu’il jugeait trop conformes aux intérêts de Philippe de Macédoine : « La Pythie philippise » ironisait-il ! Cependant, des siècles durant, rien d’important qui n’eût sa part de doute, ne fut entrepris sans consulter les sibylles. Et en cette gageure, les antiques trépieds de Delphes étaient en possession de l’avenir depuis la nuit des temps : ils dominaient le Marché dirait-on aujourd’hui. Ces pythonisses, aux augures divinement soudoyés, qui montraient bien qu’on avait affaire à des hommes, témoignaient déjà de l'impérieux besoin de l’espèce à dompter son futur. Au décorum près, rien n'a si changé (…)


 est plus infaillible que celui de Calchas, « de beaucoup le meilleur des devins, qui connaît le futur, le présent, le passé 10
». Tous ces circuits pour ne rien dire tombèrent à plat, et le bouillon fut consommé : une trentaine de millions de nouveaux chômeurs à l’échelle planétaire 11, en attendant les suivants, des Etats pris à la gorge, la croissance au tapis à peu près partout, et quelques milliers de milliards envolés, tout au plus ! Mais les Marchés ont déjà tourné la page : oublieux et sans mémoire, très éloignés d’appliquer ce qu’ils augurent, et finalement requinqués par la manne publique, voici leurs obligés à batailler sur la reprise économique conquise sur le front des 4.000 points du CAC, à tancer les nations impécunieuses quand l’indice perd quelques points et se féliciter de sa résilience quand il les regagne. Rien n’échappe à la sagacité des Marchés, sauf le réel.


La loi du 13 Fructidor An III (30 août 1795) défendit sévèrement de vendre des marchandises ou effets qu'on ne possèderait pas au moment de la transaction, jugeant que « les négociations de Bourse n’étaient plus qu’un jeu de primes, où chacun vendait ce qu’il n’avait pas, achetait ce qu’il ne voulait pas prendre, et où l’on trouvait partout des commerçants et nulle part du commerce 2 ». Ainsi l'indifférence des Marchés aux temps qui courent est-elle tout aussi inextinguible que la propension d'aucuns à vouloir tout expliquerExplicationnisme

(...) Veut-on manifester le pas des sociétés ? Croissance organique, chiffre d’affaires, résultat brut d’exploitation, profit, endettement, réduction des coûts, perspectives d’avenir, autant d’indicateurs dont on saura retenir le plus causal. Veut-on manifester la marche des nations ? Croissance du PIB, balance extérieure, inscriptions au chômage, stocks de carburant, confiance des ménages, prix à la production, ventes de détail, moral des fermiers de l’Ohio, autant de chiffres, plus ou moins biaisés, souvent contradictoires, dont on se fera un mérite de citer le plus résonant. Dans ce commun roulis, une statistique chasse l’autre, une illusion domine l’autre (…)


 par leur biais. 

 

 


 

(1) Louis XVI porta également le titre de « Roi des Français » entre 1789 et 1792

(2) Pierre-Joseph Proudhon (1857) - « Manuel du spéculateur à la Bourse »

 

Page 25 « … Jamais la hausse n’avait été aussi constante, aussi forte que pendant les dernières années de ce règne ; jamais non plus la baisse des salaires, la multiplication des faillites, symptômes irrécusables du malaise de la production ne s’étaient manifestées avec plus d’énergie. De 2.618 qu’avait été en 1840 le nombre des faillites, il s’était élevé à 4.762 en 1847. Il était clair qu’en présence d’une situation commerciale et industrielle aussi calamiteuse, la hausse soutenue des fonds publics ne pouvait plus recevoir la même interprétation »

 

(3) Robert Burnand (1949) - « Le duc d’Aumale et son temps »

(4) Peter Bernstein (1995) - « Des idées capitales »

(5) Alternatives Economiques, Mai 2004, N°225

(6) Jean de Belot (1989) - « La chute d’un agent de change »

(7) François Mitterrand () – « La paille et le grain »

(8) André Orléan (2005) - « Le pouvoir de la finance »

(9) Les Echos, le 20/07/2007 - « Les déclarations de Bernanke n’inquiètent pas les Marchés »

(10) Wikipédia - Homère - « L’Iliade (chant I, v 69-70) »

(11) Le Monde, le 28/01/2010 - « 6,6% - Le taux de chômage mondial »

 

« Le nombre de personnes sans emploi dans le monde a atteint le niveau record de 212 millions de personnes, ce qui représente un taux de chômage de 6,6 % et une hausse de 34 millions par rapport à 2007, avant la crise, selon le Bureau international du travail (BIT). Le total des personnes sans emploi avait atteint 185 millions en 2008. En 2010, le chômage devrait toucher plus de 213 millions de personnes, soit un taux de 6,5 % en raison de l'augmentation de la population mondiale. Le chômage des jeunes s'est aggravé en 2009 avec 83 millions de sans emploi, contre 74 millions en 2008 et 72,5 millions en 2007 »

 


 

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31 juillet 2009 5 31 /07 /juillet /2009 22:20


 

Nassim-Taleb-copie-3.jpgDans l'incessant cheminement vers les cimes que la compétition fait éclore, qui entraîne l’âme d’une émotion vers une autre, rien ne vaut plus dorénavant qui ne stupéfie l’opinion jusque dans les moelles. L’époque n’est pas au sacre de la multitude, sans éclat de gloire et tant éloignée de resplendir : la mode est à magnifier les gagnants, et certains sont de ces chefs-d’œuvre qu’on ne bâcle pas ! Partout, en tout présentoir où se vend du temps de cerveau disponible 1, on loue les success stories, on flatte les lauréats, on propose une tribune à ces conquistadors des temps modernes, et leurs prouesses sont contées par le menu dans des biographies complaisantes. C’est la coutume, et la Bourse n’y échappe pas : rien n’émerveille davantage en effet que l’argent, qui proportionne l'intelligence ! Les virtuoses de la plus-value sont confessés, leurs confidences et le dithyrambe publiés sans languir. S’interrogerait-on sur la clairvoyance de ces divas qu’on s'aviserait bientôt combien le cimetière des traders boursiers est diablement garni. Tant ils étaient nombreux au départ             - Géant casino -
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(…) Dans l’enchaînement chaotique des cours, chacun a sa chance : aucun pronostic n'est irrationnel à court terme tant la cyberplanète boursière paraît n'obéir à aucune règle permanente. Ceci permet à certains, qui opinent avec d'égales chances de réussite que tous les autres, d'obtenir à l'occasion des succès remarqués. Puis à tous les gobe-mouches de s'illusionner sur la vista des précédents. Quelques coups gagnants ne suffisent hélas pas : les traders d’exception sont généralement des survivants issus de la multitude qui trépigne : on se presse de publier leurs exploits, on relate leurs faits et gestes, on explique leurs méthodes. Celles-ci cessent alors de marcher (…)
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     - Boursonomics 05/04/2007 -

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« En trois ans, mon portefeuille est passé de 760 euros à un million d’euros avant impôt. Mon mode de vie n’a pas beaucoup changé pour autant 2 ». Sylvain Duport, ce trader qui remporta deux fois consécutivement les Trophées Capital de la Bourse, en 2004 et 2005, n’a donc pas perdu le goût du pain. Ni son éditeur, celui des affaires, qui fit ses choux gras en éditant chèrement le parcours du champion 3, sans que quiconque retînt quoi que ce fût dudit missel qui l’enrichît à son tour. Rien ne pouvait en effet transpirer d’un art si personnel, que l’auteur résume en peu de mots : « Je continue à penser que les critères de valorisation des actions ne veulent pas dire grand-chose : en Bourse, tout reste possible. Il faut faire appel à l'intuition comme à la technique 2 ». Ainsi en va-t-il de nos réussites, ou de nos plus-values, qui sont autant de preuves de notre discernement ou de notre savoir-faire, tandis que nos échecs relèvent toujours d’une traverse du destin, ou de la part aléatoire des processus boursiers. Face je gagne, pile quelle malchance 4 ! Les Marchés purement haussiers, notamment ceux de l’époque, qui exténuent la probabilité baissière, sont fortement sujets à ce genre d’illusion. Le gain y est connoté de maîtrise de soi, et le talent garanti d’origine. Quelques mirages, plus ou moins éphémères, peuvent alors apparaître en bonne normalité statistique. Puis le temps domine l’écart.

Quelques-uns avancent vers la lumière, et d’autres, les plus nombreux, vers la ruine. L’enthousiasme des rescapés n’a égal que le silence des disparus, qui ne comptent plus dans les statistiques, et se taisent. L’enrôlement de bleus est l’affaire des vestales du temple, qui s’y entendent pour nourrir le feu sacré. Voyez notamment Clickoptions, une filiale de la Société Générale, citée à l’arrière-plan dans l’affaire Kerviel 5, dont on ne sait plus si le métier est le jeu ou bien la finance
, qui ne craint pas d’afficher au jour le jour les gains parfois mirifiques de ses porte-drapeaux : des palmarès hebdomadaires et mensuels 6-1 affriolants attirent les traders comme les miroirs les alouettes. Au printemps 2006, cette Maison organisa sa Trading Cup, richement dotée afin que nul n’en ignore. Cependant, contrairement aux concours du genre dont la gratuité dédramatise l’enjeu, ladite Coupe imposait l’apport personnel d’un capital de 500 euros non garanti. Face au danger et à un CAC plutôt baissier, les résultats et le plan marketing 6-2 piquèrent du nez : sur 406 classés, moins d’un sur dix termina positif ! Tant d’efforts pour arriver nulle part ! Hé quoi, le réel sait montrer la rareté des châteaux en Espagne, aussi bien que le trading hyperactif, gorgé de commissions, sa grande précarité. Quelques survivants que l’imprévisible a placé là surnagent, et leur talent n’est pas établi. On les voit mieux, c’est tout.

Ah l’empire du hasard ! L’Antiquité l’avait pressenti, qui représentait la déesse Fortune les yeux bandés, debout sur une roue, aventurant le sort. Plus tard, Machiavel attribua à la chance 50% du destin des hommes, tenant la ruse et la bravoure pour le solde. Mais l’ère moderne, déterministe, réfute le sort et associe toujours la réussite à la raison : nous n’admettons la part du hasard que dans l’échec, jamais dans le succès. En 1988, des chroniqueurs du Wall Street Journal, puis d’autres, conçurent un portefeuille d’actions en lançant des fléchettes sur la page Bourse : ces fonds fléchettes surent assez battre le Marché  - Peut-on battre le Marché ? -
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(…) Voilà plus d'un quart de siècle que le Hulbert Financial Digest suit les scores des lettres d'information confidentielles proposant d’investir en Bourse. Les avancées ne sont pas évidentes. Son scénario favori consiste à imaginer un épargnant qui, chaque année, réinvestirait son portefeuille en répliquant celui de la lauréate du millésime précédent. En 1982, notre aspirant place 50.000 dollars en s'intéressant à The Zweig Forecast, puis rejoue son tapis en 1983 sur On Markets ... Hélas, fin décembre 2002 son investissement n’équivaut plus qu’à 18,27 dollars ! Tel qui réussit une année faillit les suivantes, voire disparaît tout à fait. La main passe. On ne bat pas durablement le Marché (…)
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     - Boursonomics 14/01/2008 -

! Warren Buffett avait quant à lui imaginé un concours darwiniste d’envergure : 225 millions d’américains engageant un dollar dans un pile ou face éliminatoire, et les gagnants remettant au pot dès le lendemain les gains amassés jusqu'alors. Vingt jours après, il ne resterait probablement plus que 215 joueurs à franchir le cap du million de dollars ! Alors, l’oracle d’Omaha 7 suppose qu’on questionnera ces gens d’exception, leur demandant d’écrire un livre expliquant comment ils ont transformé un dollar en un million en seulement vingt jours 8 ! Et de noter qu’un panel équivalent d’orangs-outangs n’eût pas accouché d’une moindre portée de singes savants. Ainsi, ce qui a l’apparence du talent et de la régularité n’est-il parfois que la conséquence du nombre 9.

Les Marchés boursiers sont l’univers de l’opinion, oublieux invétérés de la rationalité dont la doxa financière ne cesse de les parer. Et l’opinion est changeante ! L’avenir lui-même est imprévisible, et les lendemains boursiers en proie de surcroît aux manœuvres de l’espèce et aux dérapages incontrôlés du système ! Cette addition de paris improbables mène à un truisme : artefacts techniques       - Illusions graphiques -
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(…) Les graphiques boursiers ont envahi la place. Ils sont partout, en toutes tribunes où l'économie cotée s'affiche, dans nos journaux, sur nos écrans d’ordinateur, sur les chaînes de télévision. Ils dessinent des tendances, recommandent des stratégies, en dénient d’autres, et nul n'opinerait plus sans en avoir examiné les arabesques. Le temps n’est plus à Charles Henry Dow, précurseur du genre à Wall Street. Le presse-bouton est la règle, qui nourrit la planète de diagrammes multicolores, de courbes épurées, et d'autres indicateurs, sculptés et resculptés continûment, dans la fureur des Marchés. Les pistoleros du trading ne sont pas hommes ni femmes à louvoyer outre plus (…)
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     - Boursonomics 15/06/2008 -

ou anxiolytiques fondamentaux à portée, c’est égal, des paris seront perdus 10 ! La mise, continûment risquée, expose alors les gagnants de la veille à l’apologue simiesque de Warren Buffett. De sorte que le profit antérieur d’un magicien des Marchés ou d’une institution, qui intéresse les faiseurs d’argent et les vendeurs de rêve, ne nous apprend rien au premier regard sur ces orfèvres, sauf à connaître la taille de la population dont ils sont issus. Ainsi, à l’instar de Nassim Taleb, philosophe du hasard, lui-même ancien de Wall Street, confierions-nous volontiers la moitié de nos économies au trader d’exception qui émergerait d’un groupe de dix personnes, et sûrement pas le premier centime à tout autre qui fût exfiltré de milliers de ses semblables 11. Car la vérité pourrait tout simplement être que ce survivant a eu de la chance. Quelques Michel-Ange du trading, qu’on peine à apercevoir, sont peut-être tapis ici ou là : le vrai talent ne dépend pas de coups de Bourse ni des caprices de la fortune. Il est durable.

Les temps de crise nous montrent combien les traders d’exception évoluent au même rythme que le nombre de débutants : tous y sont moins nombreux. Tels, encore adulés la veille comme John Meriwether, ou tels autres comme Richard Bierbaum, météores du monopoly financier, qui avaient pu étourdir les foules au gré des épisodes spéculatifs, krachèrent avec les Marchés   - Détournements inaperçus -
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Voici une loi d'airain : les épisodes spéculatifs s’achèvent toujours par la multiplication des scandales, et cette mode trotte crescendo. Ainsi début 2008, Jérôme Kerviel prit-il sûrement une longueur d’avance à l’Internationale des traders fous ! En mars suivant, Bear Stearns fut immolée sur l’autel des pertes du subprime ; à l'automne on se hâta de sauver Freddie Mac et Fannie Mae, dont les cadres qui menaient grand train n’avaient pas eu l'heur de discerner la vraie nature de ces crédits pousse-au-crime ; Lehman Brothers n'eut pas cette chance et quitta urgemment les lieux. La mer s'était retirée : on vit mieux ceux des nageurs qui étaient nus, et on inventoria les détournements (…)
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     - Boursonomics 21/12/2008 -

. Rien n’est pérenne qui repose sur l’imprévisible : la multitude hasarde ses rescapés, puis les remplace ou non. L’avenir nous est définitivement celé.

 

 


 

(1) De Patrick Le Lay, PDG de TF1 en juillet 2004
(2) La Vie Financière, le 03 Novembre 2006 – « Sylvain Duport »
(3) Hervé Asparre, Sylvain Duport (2007) - «  Sylvain Duport : confidences d’un trader »

Sur son site Internet (www.edouardvalys.com/livre-sylvainduport.jsp), l’éditeur ne manque pas de battre le fer tant qu’il est chaud. Voici tel quel « Le quotidien d'un grand trader » dans ses comptes pour le mois de février 2006 (Bénéfices/Pertes exprimés en euros) : 15 février (+23.801) - 16 février (+73.400) - 17 février (+25.458) - 20 février (+51.924) - 21 février (-55.054) - 22 février (+26.504) - 23 février (+24.059) - 24 février (+56.000) - 27 février (+64.000), soit une moyenne de 30.000 euros de bénéfices par séance de Bourse. Qui dit mieux ? Ce virtuose du trading n’a pas a priori choisi de vivre de ses rentes : il semble qu’il ait été recruté peu après par le fonds Boussard & Gavaudan Asset Management LP, dont la holding mère Boussard & Gavaudan Holding Limited (BGHL) est domiciliée sur l’île de Guernesey.

 

(4) Mickaël Mangot (2005) - « Psychologie de l'investisseur et des Marchés financiers »
(5) LCI.fr, le 12/10/2008 - « Affaire Kerviel : que savait la hiérarchie de la SoGé ? »

 

« (…) L’avocate [Caroline Wassermann] cite également le cas des forwards contreparties face à ‘ Clickoptions ’ utilisées par Jérôme Kerviel alors qu'il ne pouvait statutairement le faire en tant que professionnel. Clickoptions est en effet une filiale de la Société Générale qui ne traite qu'avec les particuliers … »

 

(6) Site officiel de Clickoptions (www.clickoptions.com)

 

Rubrique Palmarès – Au cours des douze derniers mois, les dix meilleures performances hebdomadaires répertoriées font état de gains compris entre 27.158 et 66.504 euros ; le record mensuel courant (Février 2009) ressort à 120.372 euros.

 

Rubrique ClickReview - Le bulletin mensuel qui cornait la Trading Cup (N°28, Mai 2006), dotée d’un Boxster Porsche d’une valeur de 45.411 euros TTC, et de 10.000 euros aux vainqueurs mensuels, ne reparut plus avant mars 2007 où il reprit sa périodicité mensuelle. Nulle trace des résultats du jeu ne fut consignée dans aucun exemplaire de ce bulletin. Pour mémoire, sur 406 traders classés, 38 seulement affichèrent un gain (et encore le 38ème termina-t-il à +0,11%). Le 25ème réalisa une plus-value de 6,95%.

 

(7) Surnom de Warren Buffett, investisseur boursier qui compte parmi les hommes les plus riches du monde
(8) Warren Buffet (1984) - « The SuperInvestors of Graham-and-Doddsville »
(9) Peter Bernstein (2000) - «  Des idées capitales »)  
(10) L’Expansion, du 15/02 au 01/03/2001 – Interview de Pierre-Noël Giraud – « Les Marchés financiers sont devenus ...»
(11) Nassim Nicholas Taleb (2005) – « Le hasard sauvage »

 


 


Illustration
: Dés qui roulent extrait du site Gambling Planet

 

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22 mars 2009 7 22 /03 /mars /2009 18:02



Le capital est tel le lièvre de La Fontaine, peureux, sans cesse sur le qui-vive, à guetter un souffle, une ombre, et cette crainte maudite l’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts
1. Un rien, il détale, et bientôt à sa suite la multitude, qui prend la chose en gros et s’égaille. L’investisseur moderne est tout entier de ce bestiaire, bas de poil, viscéralement inquiet, jamais en repos, toujours prêt à se débander quand l'indice bringuebale. Il craint le risque comme la peste, jusqu’au tréfonds qui lui commande l’urgence confuse de recouvrer sa mise, hic et nunc 2. Pour les courageux les plus transis, conséquemment les plus nombreux, l’inclination pour la trésorerie sonnante et trébuchante, un vieux réflexe, stérilise les velléités d'affaires au long cours            - Oceano nox -
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(…) Le temps est-il le meilleur ami de l'investisseur ? Voilà qui reste à voir ! La Nouvelle Economie fossoya beaucoup et ceux qui survécurent ne sont pas à l'aube de récupérer l'argent qu'ils y investirent. Ceux-là, à qui l’on conseilla le « buy and hold » comme règle de gestion, le « wait and see » comme assurance tous risques regretteront de n’avoir pas quitté les affaires quand il n’y en avait plus. Les faiseurs d’argent n'ont pas renoncé : ils délibèrent toujours à l’indicatif, ne poussant jamais leur conjugaison jusqu’au subjonctif, le temps du doute ; et la ritournelle du placement boursier dépassant tous les autres domine encore, cependant que le réel ne sait que le contredire (…)
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     - Boursonomics 25/11/2007 -

. Le cash ! Voilà le pôle magnétique qui ronge l’horizon temporel des traders : tout doit lui revenir, au premier cri, sans aléas de contrepartie ni de prix, exfiltré de Marchés suffisamment liquides ou réputés tels. Le lièvre fuit, le financier revend, s’il le peut !

Pour la théorie, la liquidité d’un marché financier est sa capacité à absorber les achats des uns et les ventes des autres sans ciller, c’est-à-dire sans effet majeur sur les cours. Ainsi, tel qui souhaite acquérir des titres, ou s’en débarrasser, peut-il le faire sur la base d’un prix instantané qui l’assure de trouver preneur. Paré de telles vertus anxiolytiques, le Marché roule, et de là dit-on, résulte son talent inégalé à organiser l’économie tout entière, son efficience auto-immuneLes dieux d’Epicure

(…) L’atterrissage de la finance qui suivit la crise financière fut brutal malgré l’optimisme déterminé des économistes qui glosaient à l’aléa passager. L’allocation optimale du capital, vocation académique des Marchés, pressa les investisseurs de liquider leurs portefeuilles en actions pour rediriger le tout sur le pétrole, qui flamba jusqu’à cent cinquante dollars à l’été 2008. On pointa la boulimie des émergents, l’instabilité politique du Nigéria, le tarissement du précieux liquide. Quand, en septembre, commença la fin, le pétrole escorta les indices boursiers au tréfonds. Seul vestige de la théorie, la débâcle, qui fut mathématiquement efficiente (…)

 à allouer le capital vers l’usage productif, lent et besogneux. Curieux paradoxe tout de même, qui omet de représenter tout ce que la quête obsessionnelle d’une porte de sortie contient de négation de l’engagement durable ; et qu’incidemment, aucun contrat ne saurait convenir qui n’offrît la garantie permanente d’un retrait immédiat
3. La nature profonde du Marché est celle-ci, court-termiste et irrésolue, toujours rétive à l’amputation de son champ d’action, ne sachant se donner qu’à la condition qu’on ne lui refusera rien. La liquidité n’est qu’un artefact de cette finance plongée dans « l’eau glaciale du calcul égoïste 4 », dont la parole, sitôt donnée, sitôt reprise, ne vaut que pour le temps petitement compté où elle en servira l’intérêt. Le risque n’est bon que porté par autrui ; il brûle les doigts. Ce mistigri-là ne peut qu’il ne doive circuler de mains en mains pour délier chacun, qui se serait imprudemment obligé.

La spéculation est l’ébullition naturelle de la liquidité ; se nourrissant des variations de prix, elle disparaît avec elles dans le tarissement des cotations. La valeur fondamentale des titres, débarrassée de tous ses adjuvants de Marché, redevient alors le point central d’estimation des entreprises ; le long terme reprend le dessus, redonnant aux analystes financiers du grain à moudre, dans l’accablement de tableaux de chiffres ennuyeux, dépiautés en tirant la langue. Hélas, cette comptabilité laborieuse, teintée d’un soupçon d’arriération, ne fait pas l'éclat de la finance contemporaine voulue par ses chantres libéraux. Haro donc sur les vieux barbons, comme John Keynes, qui, observant déjà le lien entre liquidité et spéculation, préconisait qu’on imposât aux Marchés des coûts de transaction élevés
5, ou sur James TobinTobin or not Tobin

De tous les lauréats « nobélisés », discipline Economie, James Tobin occupera dans nos mémoires une place qu’il eût assurément préféré plus en rapport avec sa personne. Mal comprise, la taxe éponyme à laquelle il proposa d’astreindre les flux de capitaux, ce serpent de mer de la régulation financière, fit en effet plus pour son renom que ses recherches, quel qu’en fût le mérite. Il suggéra de jeter un peu de sable dans les rouages bien graissés des marchés de devises et d'orienter les revenus dégrippés vers les pays en développement : les altermondialistes s’emparèrent du cas, firent de la taxe un thème et de James Tobin un fer de lance, à son corps défendant (…)

 qui suggéra une taxe à cette fin. En raréfiant le capital disponible pensait-on, on étranglerait peu ou prou la spéculation, et avec elle, ses épisodes désastreux. Ces intentions furent reléguées aux réserves, priées de céder le pas au culte marial des temps dérégulés, où la moindre contrainte, financière ou non, devint crime de lèse-marché. La durée de détention des portefeuilles fondit comme neige au soleil, celui des îles Caïmans, et les bulles spéculatives détournèrent vite les Marchés financiers de leur objet primordial, l’investissement productif. Bientôt après, les krachs.

La grande affaire des Marchés est de produire des prix ; acheteurs et vendeurs se confrontent autour des corbeilles électroniques, opinant à l’envi jusqu’à rendre un verdict collectif, c’est-à-dire un cours, éphémère, infiniment renouvelé, qui tient lieu d’évaluation légitime. Cette estampille, la plus consensuelle à un instant donné, fédère la communauté financière, qui la reconnaît. Une telle unanimité sert les échanges et rend les titres liquides
6, entraînant par le fait le ralliement d’investisseurs nouveaux et les capitaux qui vont avec. Ce processus s’autocatalyse : car, en adoubant ainsi le prix de Marché, qui résume tout ce qu’il y a à savoir, les opérateurs, toujours plus nombreux, se détournent du réel et concentrent leurs feux sur la prochaine cotation, qui dira tout ce qu’il y a à faire. Cette nombrilisation génère des postures sans rapport avec la marche des entreprises et des nations : elle pousse les uns à tenter d’anticiper l’opinion majoritaire, et tous les autres à suivre le troupeau. L’économie devient alors un optimum de second rang, hors du temps. L’entropie du système augmente : la liquidité, chauffée à blanc par la seule opportunité d’acheter pour revendre, autrement appelée spéculationPersona non grata

Les violentes variations des prix boursiers heurtent l'entendement : des entreprises sont portées au pinacle, clouées au pilori, parfois sans justification, au fil d'errances décousues qui défient le bon sens. L’épisode spéculatif est le témoin de ces liesses, le krach, son point d’orgue : les cours prennent alors congé du réel avec une constance admirable. Nous comprenons mal cette distance entre les Bourses, où l’opinion domine, et la réalité du terrain, plus lente. Rendons-nous à l’évidence : telle l’épée de Charlemagne, lourde, mal affûtée, la Bourse est un rude baromètre, qui jauge la marche du monde comme le roi conquit l’Europe : à grandes enjambées (…)

, dégénère vite en émulsion gazeuse, autrement appelée bulle. Et cette thermodynamique-là nous renseigne assez sur l’art et la manière de garantir le fameux Return On Equity
7 (ROE) de 15% l’an.

L’intérêt supérieur du Marché commande tout : ses hérauts ne manquent pas, qui se bousculent pour apporter sa lumière, jusqu’à l’aveuglement. Ainsi Michel Prada, ex-patron de l’AMF, déjà signalé ici pour ses appels dévots à la transparence
8, qu’aucun agioteur n’a d’ailleurs jamais entendus, ne vit-il récemment pas plus de traverses à ce que la fluidité libérale trouvât nombre de ses sectateurs offshore. En avril 2007, entre autres contes de la même eau, il qualifiait les hedge funds de « participants utiles sur le marché [qui] en assurent la liquidité 9 ». Hé quoi, ce qui paraît dominer pour Michel Prada est que les Marchés soient innervés, non que ce fluide vital provienne d’îles sous le vent juridiquement inexpugnables, zones de non droit où se thésaurisent tous les escamotages fiscaux, pour ne rien dire des blanchiments mafieux ! Bah, le Marché doit avancer, et rameuter les troupes sans trop y regarder ! Ce que l’on voit moins cependant, c’est que le nombre ne fait pas toute l’affaire quand le prix ne la fait plus à son tour. Que sa pertinence vienne à vaciller, qu’il ne soit plus cette référence unanimement admise, et tout s’arrête. La titrisation du crédit hypothécaireABS, CDO et consorts

(...) Ziggy Stardust mourut à l'été 1973. Mi-homme mi-femme, icône androgyne au visage d’ange, cet esthète du show façonna la gloire de son créateur, un certain David Bowie, qui l’incarnait avec force dans ses grand-messes musicales. La poussière d’étoile étincela de mille feux, jusqu'à pâlir l’éclat du maître, qui s'en défit. Un quart de siècle plus tard, David Bowie, artiste aux revenus inavoués, fit une entrée en fanfare sur la scène financière : tout à ses comptes, il s’avisa d’en réclamer d’avance, à hauteur de 55 millions de dollars ! En janvier 1997, il fit titriser dix années d’exploitation de son catalogue. Les titres de la rock star avaient changé de nature (…)

, rendue illiquide parce qu’aucun prix ne convenait plus, grippa le système entier qui pourtant ne manquait pas de tournebroches. La croyance collective soutient l’édifice : mais ces humeurs sont changeantes.

« Rassurer les investisseurs ! ».
Voilà bien le refrain le mieux servi, mâtiné d’une pointe d’héroïsme pour ces soldats inconnus de la guerre financière, que l’on imagine à l’affût, défendant pied à pied leurs positions contre les vicissitudes du temps. Pour un peu, cette épopée paraîtrait mémorable. Mieux vaut néanmoins un chèque dans la main qu’une cote sous les yeux 10 ! Finissons : dans sa fuite, le lièvre effraie à son tour plus couard que lui, des grenouilles, qui s'acagnardent dans leurs grottes profondes. Lesquels batraciens, à l'été, aiment à s’enfler comme les bœufs d’une autre fable. Avant d’éclater. La saison suivante, on recommence.
 

 

 


 

(1) Jean de La Fontaine - « Le lièvre et les grenouilles »
(2) Ici et maintenant
(3) Frédéric Lordon (2008) - « Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières »
(4) Karl Marx (1848) - « Le manifeste communiste »
(5) John Maynard Keynes (1939) - « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie »

 

Page 174 - « Il est généralement admis que, dans l’intérêt même du public, l’accès des casinos doit être difficile et coûteux. Peut-être ce principe vaut-il aussi en matière de Bourses. Le fait que le marché de Londres ait commis moins d’excès que Wall Street provient peut-être moins d’une différence entre les tempéraments nationaux que du caractère inaccessible et dispendieux de Throgmorton Street pour un Anglais moyen comparé à Wall Street pour un Américain moyen. La marge des jobbers, les courtages onéreux des brokers, les lourdes taxes d’Etat sur les transferts, qui sont prélevés sur les transactions au Stock Exchange de Londres, diminuent suffisamment la liquidité du Marché ( … ) pour en éliminer une grande partie des opérations qui caractérisent Wall Street. La création d’une lourde taxe d’Etat frappant toutes les transactions se révèlerait peut-être la plus salutaire des mesures permettant d’atténuer aux Etats-Unis la prédominance de la spéculation sur l’entreprise ».

 

(6) André Orléan (2005) - « Le pouvoir de la finance »
(7) Retour sur investissement

(8) Marc Aragon (2008) - « La transparence : et après ? »
(9) La Tribune, le 28/03/2007) - « Les hedge funds sont des participants utiles sur le Marché »

 

« L’enjeu pour le régulateur, est de s’assurer que les hedge funds respectent comme les autres acteurs du marché, les règles communes au regard de l’usage d’informations privilégiées ou de possibles manipulations de cours (…) Fonds d’arbitrage à l’origine, les fonds de gestion alternative interviennent désormais dans tous les domaines. Ils sont des participants utiles sur le marché : ils en assurent la liquidité, ils apportent de l’efficience par l’arbitrage et ils se comportent en actionnaires actifs, bousculant parfois des managers un peu trop paisibles ». (ndla : transparence, liquidité, efficience, rien ne manque à cette exégèse du Marché ; quant aux managers un peu trop paisibles, on ne sait quelle place Michel Prada s’y attribue lui-même).

 

(10) Proverbe rapporté part Gérard Blandin (2007) - « La Bourse ou la vie »   

 





Illustration : Image extraite du site Tezeko (Le blog des économies faciles)

 

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3 janvier 2009 6 03 /01 /janvier /2009 18:56


Fontenelle raconte que Démosthène se plaignait des oracles de Delphes, qu’il jugeait trop conformes aux intérêts de Philippe de Macédoine : « La Pythie philippise » ironisait-il ! Cependant, des siècles durant, rien d’important qui n’eût sa part de doute, ne fut entrepris sans interroger les sibylles. Et en cette gageure, les vieux trépieds 1 de Delphes étaient dépositaires de l’avenir depuis un temps immémorial : ils dominaient le Marché dirait-on aujourd’hui. Ces antiques pratiques, divinement corrompues, qui montraient bien qu’on avait affaire à des hommes, témoignaient déjà de l’avantage supérieur des puissants à circonvenir l’opinion, aussi bien que de cet impérieux besoin de l’espèce à circonscrire ses lendemains. L’un s’ajoutant à l’autre, le commerce perdura, jusqu’à nos jours, selon le génie particulier de quelques-uns d’affliger l'ordinaire de tous les autres. La prescience a troqué son décorum cérémoniel et ses sentences opaques contre l’étiquette contemporaine des avis d’autorité, généralement optimistes et chiffrés. Nous ne sommes guère plus avancés.

Un exercice s’achève, un autre commence, qui nous donne l’occasion de feuilleter les prévisions des analystes. L’année 2008 fut horrifique, avec un indice parisien en déclin de 42%, à l’image des parquets mondiaux. Néanmoins, peu après l’épiphanie, celle-ci ne fut pas pressentie avec la réserve, voire la déploration, qui eût convenu. La compulsion acheteuseConvictions acheteuses

(…) A la fin de l’été 1929, les quotidiens ne se bornaient plus à citer quels titres monteraient en séance et de combien, mais bien l’heure à laquelle tel ou tel autre serait travaillé ! En ces jours filés de soie, quiconque pouvait s’ériger analyste, qui présageât la hausse, avec des chances sûres de succès, cireurs de chaussures compris. Soixante ans plus tard, en octobre 1987, la vista des éditeurs de 800 lettres confidentielles fut de la même eau : six à peine, des gâte-sauce, sous-entendirent le krach, à mi-voix. Les analystes boursiers sont de ce genre, inoxydablement positifs: ils bannissent la baisse et répugnent mordicus à conseiller quoi que ce soit à la vente ...
, panache blanc du métier, n’avait pas désarmé. « Les stratèges actions privilégient pour 2008 un scénario plutôt optimiste
» titrait La Tribune le 29 janvier dernier sur dix colonnes. Les porte-parole missionnés pour la circonstance, le caquet en partage, n’y allèrent pas de main morte 2-1 : le plus mesuré d’entre eux surestima la cote finale du CAC de près de 30% ! La palme revint au poulain de Natixis, la banque aux doigts d’or, qui entrevit l’indice parisien au zénith des 7.000 points, soit une erreur de quelque 55% ! Bah, pour certains, le ciel est la seule limite. On est pris de vertige à l’idée que des gérants manient l’argent d’épargnants sur la base de tels évangiles. « Nous sommes entrés dans une catégorie de marché que l'on peut qualifier de plat 2-3 » renchérira l’un d’eux, qui aurait été mieux avisé de qualifier ledit Marché de creux, à ce que l’on en vit après. Hé quoi, quiconque opine en Bourse court le risque de se tromper ! Pourtant, un conditionnel retenu, temps de l'hypothèse, absoudrait aussitôt l’oracle désavoué.

Un cran au-dessus, les économistes ; ils ont une réputation à défendre, la leur, et s’y appliquent avec soin, où qu’on les convie, mi-doctoraux mi-bonhomme, pour apporter la thèse de l'expertParoles d’experts (2)

Les Roaring Twenties, messagères du krach de 1929, donnèrent lieu à une grande célébration de la grâce qui inondait les marchés financiers du Nouveau Monde. La certitude était si partagée qu’on n’envisageait pas que la cavalcade des cours pût s’interrompre. Kenneth Boulding n’avait pas encore couché cette formule : « Toute personne croyant qu'une croissance exponentielle peut durer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». (…)
. Elie Cohen, grand ami des médias, est de cette souche ; à l’été 2007, tandis que les subprimes grondaient, il rassure : « Dans quelques semaines, le Marché se reformera et les affaires reprendront comme auparavant
  3 ». Du même sang, David Thesmar - Prix 2007 du meilleur jeune économiste de France – et Augustin Landier, ténors libéraux commis d’office à la défense du Grand-Méchant-Marché 5 , jurent dans un article définitif, que « le mégakrach n’aura pas lieu (…) Disons-le tout net : la correction sera limitée et surtout sans effet sur l’économie réelle 4 ». S’étrangle-t-on ? En avril 2008, Patrick Artus, directeur des études chez Natixis, de retour d’Amérique, ratifiait la fin de la crise financière 6, réorchestrant l'allegro des années Internet qui l’avait vu objectiver un CAC à 10.000 points 7 ! Enfin David Naudé, économiste senior à la Deutsche Bank, pressé de les surpasser tous, qui déclare, début janvier : « Aux Etats-Unis, l'embellie arrivera certainement mi-2008. En Europe la reprise prendra sans doute quelques mois de plus. En tout cas, il n'y aura pas de krach cette année ! 8 ». Tant de certitudes, à l'indicatif ! Ah ! jamais un subjonctif, le temps du doute, qui acquitterait le savant !

Enfin, le panthéon. Superbes, voici les politiques, passés maîtres dans l’art de raffiner l’opaque ; du maquis statistique proviennent des prévisions ciselées à la décimale près, généralement faussesPresque toujours fausses

Plus utile que l'art consommé de prédire le passé, plus difficile aussi, celui de présumer l'avenir ! Voyez les prévisions de croissance du millésime 2003 : un record ! Rarement les organismes ayant à mesurer la situation économique, offices, instituts, et observatoires de tout poil, ne mirent autant à côté de la plaque ! Collectivement anticipée comme une année de reprise, après le mauvais cru de 2002, l’année se terminera avec un taux de croissance de 0,8%, le plus faible de la décennie. Bah ! Quelques chiffres coupe-vent vont mieux que d’autres ; expertisés, cautionnés, invérifiables, on oublie généralement assez vite qu’ils étaient faux. Archi-faux (…)
, décortiquées par des experts jamais pris sans vert d’en extraire la moelle, livrées au public par des gouvernants de passage qui, finalement, s’y entendront pour ne tenir compte de rien qui affadirait l’air du temps. La mémoire oublieuse fait le reste. Les prédictions de croissance ou d’inflation sont une occasion permanente d’observer ce ballet, entre chiffres officiels, traducteurs zélés et ministres volontaristes, empressés à la cause. En février 2008, François Fillon, le premier d’entre eux, « ne croit pas que nous serons très en dessous de la fourchette de 2 à 2,25% annoncé en janvier par le gouvernement
9 ». En juin, l’INSEE ramène sa prévision à 1,6%, mais ce n’est pas l'avis de Matignon, qui juge la note « exagérément pessimiste », d’autant que les anticipations de l’institut « ne se vérifient pas toujours 10 » - ce qui ne surprendra personne, hormis les sourds et les malentendants. En septembre, l’OCDE noircit le tableau, réduisant encore la prévision à 1% 11. Vaincue, Christine Lagarde, la haute main sur Bercy, reconnaît les faits mais « reste sur ce chiffre 12 ». Au bout du compte, la croissance devrait atteindre 0,8% selon l’INSEE  13, soit moitié moins que sa propre prévision vieille d’à peine six mois !

A
qui la palme ? Voici l'outsider, le Journal des Finances, authentique dazibao à la gloire du Marché, grand connaisseur des affaires de ce temps, quoiqu’assez borgne, qui, dans son édition du 13 septembre 2008, apaise ses lecteurs. En état de contemplation avancé, l’hebdomadaire titre : « CAC 40, le pire est passé » : deux jours après, l’indice entamait une descente en schuss, et abandonnait près de 30% en moins d’un mois ! Quelques flagrants délits nous en disent long sur la capacité de ces experts qui font l’opinion, à embrasser le réel : ceux-là écriront cent fois, d’une main propre, que « la vraie marque d’une vocation est l’impossibilité d’y forfaire » (Renan). Mais ce panégyrique ne serait rien sans quelque perle d’Amérique, épicentre mondial de la transe statistiqueStatistiques en stock

(…) En ce 5 mai 1789, une grande presse courut à l’hôtel des Menus Plaisirs : les Etats Généraux, qui n’avaient plus été réunis depuis 1614, siégeaient à nouveau, avec ce désir d'assainir les affaires de France. Le roi, monarque brouillon et indécis, discourut le premier, gauchement Le Garde des Sceaux susurra ensuite les intentions du souverain, qui n’en avait aucune. Puis vint le tour de Jacques Necker Directeur Général des Finances et banquier à la réputation établie ; on attendait qu’il dévoilât un vaste dessein, un plan ambitieux qui eût sorti la nation de l’ornière et qu’on pût appliquer sur l’heure : las, on eut des chiffres indigestes, jusqu’à la nausée, trois heures durant (…)
et de l’analyse comparse. Après le fiasco frauduleux d’Enron, sous l’œil vitreux de Goldman Sachs, et juste après celui de Bear Stearns, sous l’œil clos de la SEC, c’est au tour de l’agence Standard & Poors d’entrer en scène. En mars 2008, achevant de regarder ailleurs, l’institution dégrade la banque Lehman Brothers, lui adjugeant la note honorable A+ 
14-1 , avec cet avis exquis : « Les perspectives de gains à court terme demeurent cependant intéressantes 14-2 ». A court terme donc, en septembre, Lehman succomba. La vision nocturne des épées de la finance n’est pas sans rappeler les intérêts de Philippe de Macédoine.

L’art est facile de tirer la flèche du Parthe une fois la pièce jouée et les faits connus. Et la moquerie bonasse de gausser l’expert qui s’est trompé. Sans doute, dans le même élan, devrions-nous aussi célébrer la vista de tous ceux qui ont eu l’heur de mieux réussir. Mais sommes-nous si sûrs qu’ils rééditeront l’exploit ? Quelle est ici la part du hasardLa courbe en cloche sonne Wall Street

(…) Au début du XXe siècle, Louis Bachelier, un jeune mathématicien français qui étudiait les variations de prix des bons du Trésor, nota que celles-ci se dispersaient avec régularité autour d’une occurrence centrale. L’histogramme qu’il traça prit la forme de la fameuse courbe de Gauss-Laplace, dont le contour est celui d’une cloche renversée. Il postula que les cours baissaient ou montaient à égale probabilité, tels un dé qui roule. Ce modèle, dit de « marche aléatoire », dormira un demi-siècle avant d'être exhumé par Paul Samuelson en 1954. La science du risque s'en empara, et ne manqua pas d'en rajouter (…)
, impénétrable, qui encapsule ses gouttes de cristal encre dans la sphère divinatoire ? Et celle des intérêts puissants, à l’arrière ou en flanc-garde, qui brouillent les cartes ? Bah, va pour Delphes !  
 

 




 

(1) Fontenelle (1908)- « Histoire des oracles »

Le trépied de Delphes, celui d’Apollon aussi, était une sorte de siège sur lequel la prêtresse rendait ses oracles ; avant que de s’y jucher, la prêtresse s’y disposait par de longs préparatifs, des sacrifices, des purifications, un jeûne de trois jours et beaucoup d’autres cérémonies (Littré 1970)

 

(2) La Tribune, le 29/01/2008 - « Les stratèges actions privilégient pour 2008 un scénario plutôt optimiste »

Pour mémoire : le CAC a clôturé l’année 2007 à 5.614,08 points, et l’année 2008 à 3.217,97 points, soit un recul de 42,38% – Au 25/01/2008, après l’affaire Kerviel, le CAC cotait aux environs de 5.250 points. Les prévisions du panel interrogé pour l’exercice 2008 furent : Roger Desfossez (Natixis) 7.000, François-Xavier Chevalier (VP Finance) 6.200, Jean-Pierre Hellebuyck (Axa) 6.150, Jean-Paul Pierret (Dexia) 6.100, Alain Bokobza (Société Générale) 5.900, David Kruk (fondateur et PDG de Raymond James Euro Equities) 4.700.

 

L’indice DJ Eurostoxx 50 – majors européennes - a clôturé l’année 2007 à 4.399,72 points, et l’année 2008 à 2.451,78 points – Au 25/01/2008, après l’affaire Kerviel, le DJ Eurostoxx 50 cotait aux environs de 3.800 points. Les prévisions du panel interrogé pour l’exercice 2008 furent : Roger Desfossez (Natixis) 5.250, Jean-Pierre Petit (Exane BNP Paribas) 4.850, François-Xavier Chevalier (VP Finance) 4.840, Jean-Pierre Hellebuyck (Axa) 4.800, Jean-Marie Courtois (AGF Asset Management) 4.700, Alain Bokobza (Société Générale) 4.500, David Kruk (Raymond James Euro Equities) 3.650.

 

Le constat provient du représentant de VP Finance

 

(3) Le Monde, le 17/08/2007 – « Crise des subprimes : le point de vue de deux économistes »
 (4) Les Echos, le 27/07/2007 – « Le mégakrach n’aura pas lieu »

 

David Thesmar est professeur associé à HEC – Augustin Landier est professeur assistant à l’Université de New York

 

« … il ne fait guère de doute que les marchés d’actions connaîtront une correction. C’est moins sur son existence que sur son ampleur que porte le débat. Disons-le tout net : celle-ci sera limitée et surtout sans effet sur l’économie réelle (…) Mais parce que ces produits [dérivés de crédit] sont désormais échangés par une masse critique d’acteurs constituant un marché devenu liquide, leur effet net est une diminution et non un accroissement du risque systémique. Une preuve indirecte du caractère plus sûr de l’environnement financier est la baisse très forte de la volatilité sur les différents marchés depuis 2002. L’industrie financière a connu de véritables révolutions depuis la fin des années 1990 : sa résistance aux retournements de tendance s’est améliorée, réduisant les risques de système. Le danger d’une explosion financière, et donc le besoin de régulation, n’est peut-être pas si grand qu’on ne le pense »

 

(5) Augustin Landier / David Thesmar (2007) – « Le Grand Méchant Marché – Décryptage d’un fantasme français »
(6) Challenges, le 03/04/2008 – « Vigies »
(7) Club Ulysse (2002) – « Le politique saisi par l’économie »
(8) Le Monde, le 02/01/2008 - « Il n’y aura pas de krach en 2008 »
(9) Challenges.fr, le 15/02/2008 - « La France doit se dépêcher d’accomplir les réformes … »
(10) Le Point.fr, le 20/06/2008 - « Ces prévisions de croissance qui gênent le gouvernement »
(11) Les Echos, le 02/09/2008 - « L’OCDE abaisse sa prévision de croissance 2008 »
(12) Le Figaro Economie, le 21/09/2008 - « Lagarde : « croissance autour de 1% en 2008 »
(13) Challenges.fr, le 29/12/2008 - « La France échappe bien à la récession pour l’instant »
(14) Washington Post, le 22/03/2008 - « S&P lowers its credit outlooks for Goldman, Lehman »

 

Echelle de notation de la dette à long terme (maturités équivalentes à un an ou plus) selon l’agence Standard & Poor’s - Catégorie investissement : (AAA) Valeurs de tout premier ordre (« gilt edged ») – (AA) Fourchette haute (« high-grade ») – (A) Notation intermédiaire (« upper-medium grade ») – (BBB) Fourchette basse, pouvant comporter des aspects spéculatifs (« medium grade ») - Catégorie spéculative : (BB & B) Eléments dits spéculatifs – (CCC, CC, C et au-delà) Absence de caractéristiques d’investissement souhaitables (« junk bond ») ;

 

Commentaire original de l’agence Standard & Poors, suite à la dégradation de sa notation sur la banque d’affaires Lehman Brothers : « The near-term earnings prospects remain at least somewhat brighter »

  

 

 


 

Illustration : Augure observant le vol des oiseaux
 

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7 décembre 2008 7 07 /12 /décembre /2008 18:41
     
 
Voici revenu le temps de l’éthique, celui de la transparence et de la vérité qui commandent toute la noblesse de l’action humaine. Quelques préceptes moraux de cette nature, que l’on avait mis sous le tapis en ces années d’euphorie boursière, refont ainsi surface à l’heure des mécomptes. La débâcle financière, doublée d’une apoplexie bancaire, triplée d’une crise économique, réveille subitement en nos consciences cet obsédant désir de moralisation des affaires, et nous percevons ce dessein comme un viatique obligé à la sortie de crise. Las, ce temps sera petitement compté. Car rien n’est plus urgent pour les succubes du capitalisme financier que de reprendre la main sur ces milliards évaporés, restitués à grands frais par les Etats, pour réamorcer le Marché, protecteur du clan et grand ordonnateur du bien social. Rien n’est donc davantage plus obsessionnel que de ne toucher à rien. On se contentera de donner le change, de faire la claque, et de laisser accroire que les seuls commandements de la vertu sauveront le système.

L’Histoire de la finance est pavée de bonnes intentions, conçues dans la tourmente, oubliées ou défaites aux temps de la prospérité revenue. Le Glass Banking Act
- Le Glass Banking Act -

(...) Le cynisme du monde bancaire qui prospéra durant ces années de « laisser-faire, laisser-brûler », fut bientôt rattrapé par un inventaire implacable des pratiques. Les fines lames de cette tourbe affairiste au juridisme sournois passeront sur le grill de la commission présidée par Ferdinand Pecora. La finance, qui avait tant ajourné la souveraineté publique, entendit que ce tour de table ne s’arrêterait pas à la seule responsabilité de quelques aigrefins et autres escrocs mais bien qu’un réel objectif politique de régulation financière couvait sous la cendre. La coupe fut assez remplie quand Carter Glass, le terrible sénateur de ce Vieil Etat, la Virginie, vint à se mêler de ce qui le regardait (...)

- Boursonomics 21/04/2014 -
, instauré en 1933 pour redresser et moraliser un système bancaire américain très éprouvé par le Grand Krach, fut laminé par la dérégulation triomphante de la Reaganomics ; les banques s’en donnèrent à coeur joie : Citigroup, l'une des premières sociétés de services financiers au monde, ne se le fit pas dire, qui devint récemment tête de liste des banques de dépôts américaines après le rachat de Wachovia. Le nouveau paradigme devint que seules les grandes banques universelles auraient désormais les moyens de se développer 1: Carter Glass, promoteur de la loi éponyme, se retourna dans sa tombe. Et Citigroup dévissa de quelque 90% en dix huit mois ! Est-il besoin de rappeler que la banque, en compagnie de quelques autres fleurons de la finance américaine comme Lehman Brothers, récemment disparue, Merrill Lynch et Morgan Stanley, rachetées, dominait le marché de la titrisation 2, réputé, à la lumière des faits, comme un modèle d’opacité ? Ainsi mélangea-t-on toutes choses ensemble pour happer le client, de conseils pipés en actifs toxiques mâtinés de subprime, sur l'air des canons enchantés de la rentabilité moderne : 15%, à tout prix ! L’épisode haussier stérilise toujours la raison. Et la vertu surtout.


Mi-1998, la crise asiatique dégrisa l'exubérance irrationnelle Exubérance, conundrum et autres menues incertitudes

Comme toujours, on ne sentit rien venir. Chacun avait l'œil à ses affaires, et les places financières soufflaient un peu depuis le début de l’automne. En ce 5 décembre 1996, les corbeilles européennes conclurent sur une note ordinaire. Tout au plus remarqua-t-on que la Bundesbank avait renoncé à une baisse de ses taux directeurs sans alarmer personne. Le lendemain, tous les marchés plongeaient : à Francfort, l'indice DAX se replia de 4,05%, et l'appréhension gagna la planète entière. Partout on recula. Mais la Bundesbank n’y était pour rien : un certain Alan Greenspan, quartier-maître de la Fed, y était allé de son couplet sibyllin (…)
qui étreignait les Marchés depuis qu’Alan Greenspan avait débâché les hélicoptères de la Réserve Fédérale
3. En 1999, les Bourses s’enflammèrent à nouveau : la NetEconomie tonnait, prometteuse de lendemains qui chantent, sans usines et nez au vent. Les rabatteurs financiers, qui ne traitent jamais par l’indifférence les embardées de cours, rivalisèrent de slogans ravageurs pour rameuter le ban. La Poste, généralement peu suspecte d’inclination spéculative, se mit au diapason, claironnant un « Donnez un nouveau souffle à votre épargne », ou bien « Restez gagnant même si le CAC baisse ». Bénéfic, l’un de ses fonds à promesse, fit florès, qui recueillera près de 300.000 souscriptions. Hélas, mal luné, le CAC chancela comme une startup quand s’effondra le château de cartes des héroïnes survitaminées de ce temps : la garantie en capital du fonds, confusément délimitée, partit avec l’eau du bain, vaporisant plus du tiers des économies de ses preneurs ! D’autres kleptocrates furent poursuivis, comme la Caisse d’Epargne avec son Ecureuil Europe 2003, Carrefour avec son Millénium, la Mondiale aussi4. Quelques procès en transparence furent retentissants5. En 2004, la directive européenne MIF6scella ce savant jeu de fumée : le génie financier n’attendit pas son application, en novembre 2007, pour frapper encore.

Chaque crise charrie ses déblais, dissipant ici et là nombre de victimes trop zélées, plus ou moins fameuses, plus ou moins conquises, pour ne rien dire du tout-venant qui fait le gros des troupes. Généralement, les promesses de la haute finance, la mine un rien affectée, ne tardent pas à suivre. Et au menu de nos maîtres queux, la transparence financière occupe une place de choix, la première. Eternel refrain, aussitôt chanté, aussitôt oublié, voici la vertu des affaires : l’a-t-on oublié que la Banque de France nous en ressert en 1998 quelques couplets incantatoires 7 : « La qualité de l'information financière est un élément fondamental de l'efficience des marchés, de la solidité des systèmes financiers et du renom et de la compétitivité des places boursières ». N’a-t-elle pas franchi l’océan que les sénateurs Paul Sarbanes et Mike Oxley s’en emparent, en 2002, pour dissuader les émules d'Enron et de WorldcomTake the money Enron

« (...) Nous jugeons que la période actuelle offre une opportunité très rare d'acheter les actions d'une firme qui demeure extrêmement bien positionnée pour croître à un rythme substantiel. Nous sommes sûrs que les on-dit négatifs autour de l'a compagnie sont faux, non fondés sur des éléments concrets (...) Nous estimons que les cours actuels intègrent les pires craintes des investisseurs ». Cette apologie titrée « Still the best of the best », rendue publique le 9 octobre 2001, fut l'édifiante contribution de la banque Goldman Sachs à la gloire de la société Enron, deux mois avant sa chute. Arthur Andersen, qui expertisait les comptes, n'avait rien trouvé à y redire (…)
. Mais rien ne va : le krach financier, parti du Nouveau Monde, exige plus. Quelques intellectuels tricolores priés d’opiner à ce sujet, dont Michel Prada, président de l’AMF, Xavier Musca, directeur du Trésor, résument leur ambition, dans un « Rapport moral de l’argent dans le monde
8 » paru mi-2008, à … améliorer la transparence ! Le coordinateur dudit rapport, Antoine Mérieux, en rajoute : « La transparence n’est pas la seule solution. La finance est aussi affaire d’éthique ». Et toc !

Les Torquemada de la finance ont de qui tenir. Car la transparence est la fille aînée des théories nobélisées visant à accréditer le Marché, c’est-à-dire le libéralisme, comme ultime optimisation d’une économie idéale. Les anticipations rationnelles 9, qui relèvent du rêve, sur lesquelles chacun concevrait ses décisions, nécessitent un univers supraconducteur, où l’information circule à grande vitesse et sans résistance. L’efficience des Marchés, qui suppose ce qui précède, parachève le tout. Ainsi les jugements individuels, noyés sous des jets continus de données, sont-ils censés être parfaitement conformés : nul ne saurait déraisonner ! C'est à se demander pourquoi tous ces abrutis rationnels 10 auront conduit à coup sûr aux désastres financiers que l’on sait ! Ne serait-ce donc pas que l’on aura empêché le Marché de délivrer son onction suprême ? Il faut accroître la transparence ! Sus ! En fait, le délire efficient des idéologues du Marché, qui préconisent une information quasi-quantiqueAux confins de l’information

(…) Les marchés sont surinformés. Le temps est oublié où Munehisa Homma, trader nippon à l'origine de la technique des Chandeliers japonais, balisait, certains jours à certaines heures, une route de l'information de Sakata à Osaka, faisant agiter des drapeaux à des gens juchés sur les toits pour propager un signal. Aujourd’hui, les temps sont au numérique, au planétaire, de jour comme de nuit, partout en même temps. Dans ce continuum, les données voyagent à la vitesse de la lumière : les écrans plats à cristaux liquides croulent sous les chiffres et les graphiques, et les cotations des valeurs du NASDAQ défilent sur les néons de Times Square (…)
, boulimique, garante d’une rationalité prodigieuse, raccourcit l'horizon temporel des opérateurs. Tandis que les entrepreneurs sont à se projeter sur plusieurs années, l'investisseur est hanté par l'extrême présent, sous le feu de signaux, parfois contradictoires, qui lui parviennent de toutes parts
11. Cette instantanéité dit l'incomparable fossé qui sépare l’économie réelle de l’économie financière.

Les hommes d’argent ne sont jamais à renoncer ; jusqu’au-boutistes, rétifs à toute réglementation qui viendrait gâter leur commerce, ils se nourrissent de l’emballement spéculatif, seconde nature des Marchés, dans la plus pure tradition de l'enrichissement sans cause et du lucre. Cette folie est collective. Quelques vœux pieux, chantés en chœur, ne changeront rien à l’affaire. La transparence permettra bien d’attendre la prochaine sortie de route. « Enrichissez les soldats et moquez-vous du reste ! ». (Septime Sévère).

   

 


 

(1) Les Echos, le 30/09/2008 – « En reprenant Wachovia, Citigroup devient la plus grande banque de dépôts américaine »
(2) Jean-Marc Sylvestre, Olivier Pastré (2008) – « Le roman vrai de la crise financière »

(3) Helicopter Drop (Lâcher de billets par hélicoptère) selon la métaphore de Milton Friedman (essor de la masse monétaire)
(4) La Vie Financière, le 20/06/2003 -
« Les recours face aux abus des fonds à promesse »

 

« Restez gagnant même si le CAC baisse », « Donnez un nouveau souffle à votre épargne » ... Autant d'arguments qui ont permis à La Poste de commercialiser dès 1999, plus de 300 000 contrats Bénéfic, un fonds à promesse (dit également « fonds à formule »). Aujourd'hui, les souscripteurs qui ont adhéré à l'offre en décembre 1999 ont perdu jusqu'à 38 % de leur épargne ! Déçus, ils s'en prennent à La Poste, dont la plaquette, pour le moins engageante, les aurait induits en erreur en évoquant une garantie en capital. « Le plus marquant, c'est la masse des revendications, près de 3 000, indique Jacques Poindron, à l'AFUB (Association française des usagers des banques). Certains petits souscripteurs ont investi sur ce produit jusqu'à 30.500 euros et il était, pour La Poste, d'autant plus facile de les harponner que la Bourse montait » …

 

(5) L’affaire Benefic - (source Wikipédia)

 

Bénéfic est un fond d'investissement gérée par La Poste, qui a convaincu plus de 300.000 personnes d'y souscrire (70% d'entre elles étaient titulaires d'un PEA), pour un montant total de plus de 1,5 milliard d'euros. Ce fonds a perdu une bonne partie du capital des épargnants (entre -12,2% et -35,8% selon l'édition du 3 juillet 2006 de Votre Argent). L'Autorité des Marchés Financiers a diligenté une enquête, qui s'est conclue par une absence de responsabilité de La Poste. Cependant, le Tribunal de Commerce de Paris a condamné La Poste a dédommager quelques personnes, ainsi que les associations de consommateurs, au motif que les dépliants publicitaires étaient trompeurs et de nature à induire en erreur les particuliers. Par cinq arrêts rendus le même jour, le 19 septembre 2006, la Cour de Cassation a estimé cependant que les premiers juges avaient violé l'article du Code Civil qui prévoit l'obligation de conseil, en estimant que l'information donnée aux particuliers souscripteurs n'était pas « incomplète, inexacte ou trompeuse ».

 

(6) Le Monde, le 06/06/2008 -« La transparence considérée comme le meilleur remède aux excès »
(7) Banque de France, novembre 1998 - « La transparence financière », 23,00 € TTC

 

« L'importance de la transparence financière y est analysée au travers d'articles rédigés par les services des deux autorités [Commission bancaire et Commission des Opérations de Bourse] sur les thèmes suivants : les motivations des contrôleurs en matière de transparence financière ; la communication financière des établissements de crédit français, notamment sur leurs résultats, leurs activités de marché, les engagements sur les professionnels de l'immobilier, et son impact sur les cours de bourse ; la transparence des comptes : responsabilité et déontologie des principaux acteurs ; notation de créances et surveillance financière ». Que de progrès depuis ! (ndla)

 

(8) Le Monde, le 06/06/2008 – « La transparence considérée comme le meilleur remède aux excès »
(9) Théorie proposée par Robert Lucas, prix de la Banque de Suède 1995
(10) Locution d’Amartya Sen, prix de la Banque de Suède 1998 – En anglais « Rational fools »
(11) Frédéric Lordon (2003) – « Et la vertu sauvera le monde »


 

Illustration
 : Analystes se concertant
 

 
 

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14 janvier 2008 1 14 /01 /janvier /2008 01:51



stgeorgedragon.jpgDepuis 1980, le Hulbert Financial Digest se pique de suivre les performances des lettres d'information confidentielles proposant d’investir en Bourse. Son scénario favori consiste à imaginer un épargnant qui, chaque année, réinvestirait son portefeuille en répliquant celui de la championne de l’année passée. Début 1982, notre candidat place 50.000 dollars sur les conseils de The Zweig Forecast, qui arbora un gain de 24,2% en 1981 ; puis début 1983, il change son fusil d’épaule, et rejoue son tapis sur On Markets, lauréate en 1982 avec une marge de 85,1% ! En 1988, il filera Puetz Investment Report, qui brilla en 1987 avec 663,7% ! Las, notre homme a toujours un coup de retard. Il dépérit, au rythme infernal d’une perte annualisée de 31,4% : fin décembre 2002, son capital n’équivaut plus qu’à 18,27 dollars
1 ! Tel qui réussit une année, faillit les suivantes. La main passe. On ne bat pas durablement le Marché.
 
L’issue de cette traque surprend peu ; les scores flatteurs d’une année, qui peuvent tenir du coup de Bourse, ne font pas souvent long feu. Ils peinent à être revus d’un bilan sur l’autre et se consument toujours sur des perspectives au long cours. Ainsi, l’opinion hautement éclairée, chèrement payée, des éditeurs de lettres d’information se heurte-t-elle à la réalité, incommode, qui nous rappelle que le confidentiel de ce commerce vaut surtout par ses résultats. A côté, notre épargnant actif aurait eu meilleur compte à singer l’indice large S&P 500 : durant la même période, celui-ci annualisa un gain de 9,84% ! Alors, on inventa les trackers, et une large palette d’outils financiers, regroupés sous la bannière de la gestion indicielle, consistant à maintenir un portefeuille dont la valeur reproduit la performance globale de l’indice de référence. Mais l’homme est ainsi fait qu’il ne se contente pas de demi-mesures, de gains racornis par les frais de transaction, assuré qu’il existe quelque part un gestionnaire suffisamment sincère et talentueux pour relever le défi. En 1980, le magazine Financial World, fit connaître le résultat de 132 conseils émanant de vingt analystes de haut vol parmi les mieux payés et les plus réputés de leur profession : le rendement moyen de ce portefeuille fut de 9,35% 2, quelque cinq points de moins que le S&P 500. La fleur des pois 3 n’était pas encore éclose, ni près de l'être !

B
attre le Marché ! Toutes les études aboutissent à des résultats remarquablement uniformes, de longue date. Depuis Alfred Cowles, qui s’échina un demi-siècle à démontrer la supériorité du Marché sur les praticiens, cette croyance en la chose possible motorise toutes sortes de services financiers ; quelques survivants émergent, petitement comptés, à la réussite éphémère. En 1968 par exemple, le fonds de Frederick Mates surpassa tous les autres, engrangeant 153% sur l'année, puis fut englouti dans le marché baissier des années qui suivirent 4 : fin 1974, il avait perdu 93% de sa valeur ! Tant d’obstacles, tant de détours pour n’arriver nulle part, tant de génie à la merci de la première infortune : quand il ne brise pas, le Marché résiste, inexpugnable ! Les chiffres sont intraitables, où que l’on regarde. En 1998, sur 7700 mutual funds gérant environ 5500 milliards de dollars, 95% n’arrivèrent pas à battre le Marché 5, sans que l’on puisse attribuer avec certitude quelque talent aux gérants qui le surpassèrent, quoique la rémunération de tous fût assurée. Fin 2001, la performance moyenne des fonds investis en actions fut inférieure de deux points à l’indice S&P 500, sur des périodes de dix à vingt ans 6. La cause paraît assez entendue, mais l’aventure continue. Car les vendeurs de panacées vivent toujours aux dépens de ceux qui les écoutent, salaires et charges compris.

Q
u’en est-il aujourd’hui ? En 2007, les meilleurs OPCVM ébouriffèrent, notamment ceux dérivant d'actions chinoises. La palme revint au produit Saint-Honoré Chinagora, qui afficha une progression de 117,40% sur l’exercice, supérieure à celle de l’indice composite Shanghai Index qui se contenta d’un gain de 99,66% ; mais les seize autres SICAV de la catégorie firent moins bien. Au Japon, le Nikkei connut une année horrifique, en recul de plus de 11% ; mais l’écrasante majorité (158/162) des SICAV en actions nippones affichèrent des scores pires encore ! En Allemagne, tous les fonds (15/15) échouèrent contre un DAX euphorique (+22,29%), tandis qu’un seul (1/48) déborda le FTSE à Londres (+3,79%). Enfin, 20% seulement des SICAV en actions américaines (25/312) vainquirent l'indice large S&P 500 (+3,62%). Au total, ce sont presque 95% de ces standards d'épargne boursière (524/555) qui sous-performèrent leur indice en 2007 7 ! Quant à l’hexagone, l’Association Française de la Gestion financière, qui pèse 1450 milliards d’euros en OPCVM, annonça, en avril 2007, qu’après huit années d’existence son indice FCPE 8 Actions France obtenait un gain annualisé de 5,5% contre 4,3% pour le CAC 40 9, oubliant que l’indice SBF 250, plus large et plus représentatif, avait quant à lui produit un gain annualisé du même ordre (5,5%). Bah, on faisait aussi bien, ce qui n’était pas si mal !

C’est à l'aube des années 1950, que les universitaires s’éveillèrent aux Marchés financiers, après qu’on eut exhumé les travaux de Louis Bachelier qui, un demi-siècle plus tôt, avait proposé une forme probabiliste des variations boursières, celle de la courbe en clocheLa courbe en cloche sonne Wall Street

(…) Au début du XXe siècle, Louis Bachelier, un jeune mathématicien français qui étudiait les variations de prix des bons du Trésor, nota que celles-ci se dispersaient avec régularité autour d’une occurrence centrale. L’histogramme qu’il traça prit la forme de la fameuse courbe de Gauss-Laplace, dont le contour est celui d’une cloche renversée. Il postula que les cours baissaient ou montaient à égale probabilité, tels un dé qui roule. Ce modèle, dit de « marche aléatoire », dormira un demi-siècle avant d'être exhumé par Paul Samuelson en 1954. La science du risque s'en empara, et ne manqua pas d'en rajouter (…) 
. Paul Samuelson associera ces variations de prix à un flux d’informations arrivant au Marché de manière aléatoire ; Eugène Fama parachèvera la théorie de l’efficience informationnelle ; d’autres, aussi fameux, seront de cette course aux armements. A partir des années 1970, les choses iront bon train, notamment sur la mathématisation du risque. Aujourd’hui encore, les débats sont vifs : cependant, les résultats ne sont pas probants, et l'imprévisibilité radicale des cours semble l'emporter à chaque fois. Les présents relevés montrent assez que de longue date, une gestion active n'a jamais paru à même d'assurer, sinon à la marge, une performance supérieure au Marché, à l'image de ces day-traders, spéculateurs d'un jour, qui, selon Merrill Lynch, subiraient des pertes dans 85% des cas
10 ; certes, Warren Buffet, l'oracle d'Omaha toujours pris en exemple, surpasse le commun : mais nul ne peut si souvent prendre un contrôle suffisant des sociétés pour mieux peser sur leur gestion ! Bref, tout le monde s’active ; hormis quelques météores, personne ne réussit. Si les Marchés sont imprévisibles, il n’y a rien à faire.

L
es performances passées ne présumant jamais de celles à venir, c’est un art bien difficile que de dénicher le gérant de fonds avant ses exploits. Après, c’est souvent trop tard. Car aucune stratégie avérée n’a été à ce jour dévoilée ; mieux même, aucune ne pourrait l’être qui ne fût immédiatement condamnée par le Marché, et son avantage spéculatif anéanti. Il faut s’y résoudre : tant qu’à ne pas battre le marché, tâchons de faire au moins aussi bien, puisque généralement il nous devance.

 

 

 

 
(1) Fundadvice.com, le 23/02/2003 -  « Chasing performance »
(2) Etude relatée dans Orientationfinance.com ;
(3) Fleur des pois : personne recherchée pour ses agréments, le nec plus ultra de ses charmes
(4) Time, le 03/01/1969 - « Checked Mates »
(5) Jacques Nikonoff (1999) - « La comédie des fonds de pension »
(6) Burton Malkiel (Edition 2005) - « Une marche au hasard à travers la Bourse »

Performance totale (en %) au 31 décembre 2001 – Moyenne des fonds en actions : sur 10 ans (10,98), sur 15 ans (11,95), sur 20 ans (13,42) – Indice S&P 500 : sur 10 ans (12,94), sur 15 ans (13,74), sur 20 ans (15,24). Source : Lipper Analytical, Wiltshire Associates, Standard & Poor’s et The Vanguard Group.
                                                                                  
(7) Source Boursorama – Evaluation au 04/01/2008 par Morningstar
(8) Fonds Commun de Placement Entreprise
(9) Bonnes performances des FCPE pour l’année 2006 (Indice RH)
(10) Roland Gillet, Ariane Szafarz (2004) - « L’efficience informationnelle des Marchés »  
        


 
Illustration
: Saint George terrassant le dragon



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24 décembre 2007 1 24 /12 /décembre /2007 21:12


    
Brown-copie-4.gifNorthern Rock ! Voilà une enseigne qui avait du souffle, oserait-on dire du coffre ! Hélas, la huitième banque du Royaume-Uni est au tapis : la peste du subprimeSubprime : risque majeur ?

Côté cour, des équations, longues comme un jour sans pain, qui s’échinent à décrire des mondes enchantés où l’homme figure à peine, esquissé au crayon et dans la marge ; côté jardin, la haute finance, attentive, qui excelle dans l’art d'animer les équations qu’on aura formulées, c’est-à-dire d’y trouver le prétexte à sa quête incessante du gain. Ainsi irait le Marché, dit-on, univers de papier, empli d'évidences, mené par une mathématique bienveillante ! Las, voilà qu'en son centre étasunien, une affaire envenime toutes les autres : des prêts immobiliers mal garantis - « subprime » -, que l'on se plaît à minorer, dégénèrent, et menacent d'infecter à l'entour (…)

l’a saisie l'été dernier, sans crier gare, et ses humeurs n'en finissent pas d'empoisonner l'air du temps 1, du Northumberland jusqu'à Londres même. La Banque d’Angleterre subventionna copieusement l'affaire fin septembre, déposa vingt-six milliards de livres sterling sur la table, ce qui fit aussitôt déferler des milliers d'épargnants dans les rues de Newcastle, subitement inquiets du train des évènements. Rien n’y fit : la descente aux enfers continua, validée par la City qui divisa la valeur de la belle par six. Richard Branson, patron milliardaire de Virgin, personnage emblématique et généralement providentiel, ambitionna un temps une Virgin Money ! Cerberus, un fonds prédateur américain en embuscade, parut guigner l'affaire, puis jeta l'éponge ; d’autres, notamment le groupe d'investissement Olivant, sont toujours à minauder 2. En sorte que Gordon Brown, premier ministre de sa Très Gracieuse Majesté, n’a pas exclu de socialiser les pertes 3, c'est-à-dire de privatiser. Provisoirement, cela va sans dire.
 
Mervyn King, gouverneur de la Banque d’Angleterre, droit dans ses bottes, avait pourtant fait savoir, le 12 septembre, à qui voulait l’entendre qu’il ne volerait au secours de personne, à commencer par Northern Rock, estimant « qu’un apport de liquidité (…) encourage des prises de risque excessives et sème les graines de crises financières futures » 4. On ne suspecte pas l’orthodoxie de ceux qui font le dogme : les naufrageurs de la Barings s’en souviennent encore ! Bah, une semaine plus tard, l'Argentier du Royaume capitulait 5 et cassait sa tirelire sous la pression de ceux qui battaient le pavé. La vanité des théories finit toujours par s’effacer devant la force des réalités : les ménages anglais peuvent s’endetter jusqu’à cinq fois leur revenu brut annuel sur des prêts longs à taux variable 6, en attendant la crise, c’est-à-dire la ruine, prêteurs compris. Le Marché ne dicte sa loi que pour le temps où il trouve encore en son sein quelque main secourable, pour ne point dire prédatrice, qui sauvera la mise. Et l’Angleterre n’est pas l’Amérique ni la Suisse ! Citigroup, la première banque américaine, qui déprécie ses actifs à la pelle, a trouvé quelque salut dans un fonds souverainFonds souverains

(...) La crise du crédit, gloutonne et grande dépréciatrice d'actifs, aura révélé d'ambitieux prétendants aux agapes financières, prédateurs pour les uns, sauveurs pour les autres. Peu visibles jusqu'alors, les fonds souverains ont tout de go accaparé les colonnes des journaux, tirelires régaliennes nourries par un sous-sol généralement bénit aux services d’un nouveau capitalisme d’Etat : diamants du Botswana, cuivre du Chili ... Toutefois, la grande affaire minérale ou fossile est le pétrole venu du Moyen-Orient et d'ailleurs qui fait le gros de la troupe. Et d’autres sources de capitaux, moins géologiques, tapent à la porte, non moins colossales : elles viennent de Chine et de sa banlieue (…)

émirati ; Morgan Stanley, fleuron de la banque d’affaires, sera recapitalisée par un fonds chinois, UBS par des fonds singapourien et moyen-oriental
7. L'anglaise quant à elle ne voit rien venir, sinon l’Echiquier britannique.
 
C
ar le Marché n’a pas toujours un lapin à sortir du chapeau, et ses prétendues vertus autorégulatrices n’ont jamais dispensé les autorités politiques de réfléchir au-delà. Ainsi ne trouva-t-on personne, dans les années 1985, qui vînt de Chine ou d’ailleurs, pour secourir les Caisses d’Epargne américaines, emportées dans la déréglementation financière, sinon le contribuable local qu’on allégea de 200 milliards de dollars 8. Et que dire du sauvetage des banques japonaises, à l’automne 1998, après que la débâcle asiatique eut imposé la loi cruelle des grands équilibres perdus et révélé un capitalisme de compères : à l’heure des mécomptes, toute honte bue, le gouvernement de Keizo Obuchi, au mépris des principes libéraux, délestera le commun de 400 milliards de dollars – 11% du PIB ! - pour renflouer des institutions ruinées par la spéculation, nationalisant de fait quelques-unes des plus grandes banques du pays 9. Enfin, point de dragons ni de tigres ici en France. Le Crédit Lyonnais suffit à apporter notre pierre hexagonale à l’édifice : une médication de quinze milliards d’euros, levée sur fonds publics, permettra d’aseptiser le plus grand scandale financier depuis les emprunts russes. On s’en tint aux méfaits de l’économie mixte 10, oubliant que quelques épées du capitalisme fleurdelisé s’enrichirent assez en rachetant à vil prix les participations de la banque dans leurs propres affaires 11.
 
R
etour aux Etats-Unis. Au sortir des années 1970, la crise de la dette du tiers-monde sévit, l’inflation galope, à deux chiffres, et les plus grandes banques vacillent : en particulier la Continental Illinois 12, septième banque américaine de dépôt, acclamée par la presse, qui agonise : l’administration Reagan, mieux connue pour sa dévotion au Marché, sortira de sa Réserve - près de 5 milliards de dollars, et rallongera l’enveloppe pour désengluer une quarantaine d’autres établissements « too big to fail » - trop gros pour chuter. En 1991, dans un script à la Northern Rock, on vit les rues de Boston s’emplir d’épargnants craignant pour leurs économies, qui firent le siège de Bank of New England et de quelques banques alentours 6. L’aléa de moralité, garantie indéfectible de l'Etat qui prend souvent la forme d’injection d’argent public, fut avancé pour sauver l'affaire. La politique monétaire expansionniste menée par Alan Greenspan dans ces années-là, c'est-à-dire la baisse drastique des taux, concourut également, et plus généralement, à désamorcer l'embarras bancaire du moment. Celle pilotée par son successeur, Benjamin Bernanke, qui a vite ramené le prime rate de 5,25% à 4,25%, tente de limiter l'impact délétère des subprime et le tassement de la croissance. La finance est face à son destin, celui de l’irréparable arrêt des milliards envolés que l’on finira par ne plus jamais retrouver.
 
Les banques restent la clé de voûte du système ; elles sont le maillon fort de marchés financiers plus vastes encore, nourris de capitaux mondialisés et de risques disséminés jusqu’à l'épargnant final : celui de Northern Rock a eu chaud, qui ne savait rien de ce qui se tramait dans son dos ! Au-delà des discours académiques sur la régulation du capital par le capital ou la primauté des Marchés qui font et « savent tout mieux que tout le monde », nous voyons combien la robustesse présumée de l’édifice tient pour l'essentiel, en dernier ressort, à l’habilité des Etats et des Banques centrales à inonder les Marchés d'argent frais, fiscalisé ou régalien. La BCE a récemment alloué 350 milliards d’euros
13 aux banques, incapables de se prêter entre elles, dans un climat de défiance généralisé. Probablement les besoins finiront-ils par submerger les capacités mêmes d'action et de contrôle des autorités qui ont à soutenir la bâtisse. Déjà la finance pèse l'équivalent de quatre fois le produit intérieur brut mondial 14. Quelqu’un, quelque part, un jour, finira bien par présenter l'addition. Sans doute pouvons-nous juger ces faits comme inhérents au système et sous-estimer leurs conséquences sur l'Economie, appliqués nous-mêmes à nos propres affaires, satisfaits ou dépités selon que la Bourse qui dit « tout ce qu’il y a à savoir sur la conjoncture économique 15 » aura gagné ou perdu un demi-point.
 
En 1978, le gouvernement Barre commença à nationaliser la sidérurgie, reprenant au compte de la nation tout entière les 22 milliards de francs de dettes de Sacilor. Les banques ne sont pas seules : on les voit mieux, c’est tout. Le Marché dispense ses grâces, en temps de paix, et ses miasmes morbides quand il faillit : on voit bien alors quelle main dédaignée le secourt. Il ne survit qu'à ce prix.


    

 

(1) Northern Rock est (était) le cinquième prêteur immobilier du Royaume-Uni :

 

Le développement, ces dernières années, des prêts hypothécaires à risque a exposé la banque anglaise aux aléas d'une crise. Néanmoins, contrairement aux banques allemandes IKB et Sachsen, il semble que Northern Rock ait été moins fragilisée par ses engagements dans les secteurs à risque que par sa difficulté à refinancer son activité de prêteur dans le climat de défiance bancaire (Lire Les Echos, le 17/09/2007). Le résultat est égal.

 

(2) Reuters, le 12/12/2007 - « Plus que deux candidats en lice pour la reprise de Northern Rock »

(3) Les Echos, le 06/12/2007 - « Nationalisation possible pour Northern Rock »

(4) La Tribune, le 01/10/2007 - « Repenser notre régulation financière … à Londres »

(5) Depuis 1997, les rôles financiers se répartissent de la sorte au Royaume-Uni :

 

La Banque d'Angleterre est indépendante et centrée sur la politique monétaire ; la Financial Services Authority (FSA) surveille les banques et régule les Marchés. Les crises financières sont gérées de manière tripartite entre le Ministère des Finances, la Banque d'Angleterre et la FSA. Cette approche est aujourd'hui contestée outre-Manche.

 

(6) Le Monde, le 18/09/2007 - « Le sauvetage de Northern Rock est un acte purement politique »

(7) Quelques conséquences de la crise des subprimes débutée à l’été 2007 :

 

Citigroup a annoncé fin novembre une dépréciation d’actifs de 3 milliards de dollars pour le troisième trimestre 2007, suivi de 8 à 11 milliards supplémentaires pour le quatrième ; l’Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), le plus puissant fonds souverain du monde a accepté d’investir 7,5 milliards dans la banque américaine, soit 4,9% du capital de Citigroup. La crise du subprime a coûté à ce jour quelque 9,4 milliards de dollars à la banque Morgan Stanley, en cours de recapitalisation par le fonds chinois CIC (China Investment Corp) à hauteur de 5 milliards de dollars, soit 9,9% du capital de Morgan Stanley. Enfin, face à ses pertes de quelque 15 milliards de francs suisses, UBS a annoncé le 10 décembre dernier qu'elle allait lever 13 milliards grâce à un emprunt convertible, souscrit à hauteur de 11 milliards - 9% du capital d’UBS - par un fonds d'investissement souverain singapourien GIC (Government of Singapore Investment) et un fonds anonyme moyen-oriental.

 

(8) Joseph Stiglitz (2004) - « La Grande Désillusion »

(9) Le Monde Diplomatique, Novembre 1998 - « Le bateau ivre de la finance »

(10) Le Crédit Lyonnais était encore une banque publique au début des années 1990

(11) Le Monde Diplomatique, Décembre 2003 - « Argent public, fortunes privées »

(12) Continental Illinois a été rachetée par Bank of America en 1994 

(13) Challenges.fr, le 15/12/2007 - « Subprime : la BCE a alloué 350 milliards de liquidité »

(14) Alternatives Economiques, Hors-Série N° 75

(15) Peter Bernstein citant Charles Dow (1995) - « Des Idées Capitales » 

 



Illustration : Extraite du New York Times - « The Invisible Hand Is Shaking »
 
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25 novembre 2007 7 25 /11 /novembre /2007 18:21


Bernie-Ebbers-copie-2.jpgNouveau millénaire, nouvelle ère         - Changement d’ère -
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(...) Certes, le monde social, si peu stationnaire, mal arrangeant, rend l’inférence statistique aventureuse ; les temps changent, les méthodes changent : n’est-ce pas commettre un péché d’anachronisme que de comparer les pratiques anciennes avec la modernité ? Ah, la nouvelle ère ! Elle exténue l’expérience du passé; elle renverse les principes les plus établis jusqu’à en périmer les gouvernes d’évaluation. Rien ne s’apprécie plus selon les canons qui valaient hier encore, l’euphorie s'en mêle, puis anesthésie le tout : dans le domaine financier, les nouveaux auspices ne semblent tenir qu'à la connivence des intérêts solidarisés dans la bulle. Cette habitude au moins semble inébranlable (…)
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     - Boursonomics 13/08/2012 -

. Celle de l’économie vint à l’aube du troisième, après que le Marché eut survécu à la dévastation monétaire des économies asiatiques, à la liquidation financière de la Fédération de Russie et à la déconfiture retentissante de LTCM, le hedge fund le plus fameux de l'écliptique. Les indices boursiers, un rien dédaigneux, qui avaient assez ignoré les déboires du bath thaïlandais, du ringgit malais, de la roupie indonésienne ou du peso philippin, finirent par céder : le CAC 40 perdit un bon tiers de sa valeur entre juin et octobre 1998 1. L’attention se reporta alors sur une innovation technologique qui, disait-on, relèguerait au second plan la vieille industrie, ses hauts-fourneaux, ses laminoirs, la sueur des hommes. La Nouvelle Economie tisserait sa toile sur des réseaux planétaires, des autoroutes de lumière sur lesquelles l’information, ce nouveau graal, circulerait en trombe, et de là, tout procèderait : Internet à tous les étages, comme jadis, l’eau et le gaz. Les Bourses ne se le firent pas dire deux fois, et s'enflammèrent : « Le CAC vaudra 7300 points fin 2000 2 ». Et c’était à qui protestait qu’on l’insultait dès qu’on posait le problème autrement.

Les terres numériques retentirent d'un battage médiatique inouï, porté par les voix les plus ferrées de la planète finance. En février 1999, Wayne Angell, ancien gouverneur de la Fed, décréta fortissimo : « Il n’y a pas de bulle : nous sommes tout simplement parvenus à l’économie de la nouvelle ère 3 ». En avril 2000, Abby Cohen, analyste en vue chez Goldman Sachs, se déclara « enthousiaste devant l’évolution de la bourse américaine ». Les patrons hexagonaux ne furent pas en reste : en mars 2002, Jean-Marie Messier, toiletteur terminator de la séculaire Générale des Eaux, en pleine débâcle, pontifia : « Le groupe [Vivendi Universal] va mieux que bien ! 4 ». Et Serge Tchuruk, mentor d’Alcatel, fut nommé Manager de l’année 2000 parce qu’il avait « su transformer une vieille dame centenaire de l’industrie en un groupe emblématique de la Nouvelle économie 5 ». Point de demi-mesure comme on le voit ! Un épargnant profane, sain de corps et d'esprit, ne pouvait qu'il ignorât longtemps ces maîtres de chœur tant époumoner leurs alléluias ! Ni douter qu’un pareil consensus pût se fourvoyer ! En sorte qu’entre 1999 et 2002, deux millions de français frappés de béatitude rallièrent la Bourse, sur la foi de conseillers financiers leur ayant assuré la suprématie de l’investissement boursier à moyen/long terme sur tous les excellents placements  - La transparence, et après ? -
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(...) En 1999, l’e-Economie se mit à tonner, prometteuse de lendemains qui chantent, sans usines et nez au vent. Les rabatteurs financiers, qui ne traitent jamais par l’indifférence les folles embardées des places boursières, rivalisèrent de slogans ravageurs pour rameuter le ban. La Poste, généralement peu suspecte d’inclination spéculative, se mit au diapason, claironnant un « Donnez un nouveau souffle à votre épargne », ou bien « Restez gagnant même si le CAC baisse ». Bénéfic, l’un de ses produits à promesse, fit florès. Hélas, la garantie en capital de ce fonds confusément délimitée, partit avec l’eau du bain quand le CAC chancela, vaporisant plus du tiers des économies de ses preneurs (…)
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     - Boursonomics 07/12/2008 -

qu’ils leur proposaient l’année passée encore.

La suite est notoire : l’euphorie catalysa l’indice tricolore, à l’instar de tous les autres. L’heure n’était pas aux sceptiques, et la spéculation haussa mieux la cote que toute autre vue. Le CAC progressa continûment entre l’automne 1998 et l’automne 2000 où il culmina à 6.944 points, gagnant près de 140% en deux ans ! Puis la bulle éclata ; en mai 2003, l'indice parisien touchait le fond, à 2.401 points. Depuis lors, on n’a plus reproduit ces niveaux records, et nul ne peut sérieusement prédire s'ils seront revus un jour. Les actionnaires d'Alcatel ne s’en remettront apparemment jamais, qui peuvent encore échanger le titre vers cinq euros cependant qu’il s’illustrait à 95 euros en septembre 2000 ! Par pudeur, on ne s’étendra pas sur les investisseurs américains de Worldcom, Global Crossing, Adelphia            - Bancanalystes -
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(…) Jack Grubman était du clan des analystes financiers les plus en vue de l'e-Economie. Stratège télécoms dans une filiale du banquosaure Citigroup, pour qui l’on détricota le Glass-Steagall Act, il se signala par ses conseils sur WorldCom : le 6 janvier 2000, tandis que la valeur cotait 47,87 dollars, il recommanda d'acheter le titre, et refit le même appel à la cantonade quatorze fois durant les mois suivants malgré la chute du titre, et encore le 11 avril 2002 alors que la valeur ne cotait plus que 4,64 dollars. Quinze jours après, le cours hoqueta sous les 4 dollars, et l'intéressé dut capituler non sans s'être déclaré neutre sur sa chère pépite ! WorldCom tira sa révérence le 21 juillet 2002 (…)
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     - Boursonomics 23/02/2007 -

, ces étoiles déconfites à jamais, souvent brutalement, parfois même sous les recommandations d’achat jusqu’au-boutistes de banques d’affaires comparses. La Nouvelle Economie fossoya beaucoup, et ceux qui survécurent ne sont pas près de récupérer l'argent qu'ils y investirent. Ceux-là, à qui l’on conseilla le « buy and hold » comme règle de gestion, le « wait and see » comme assurance tous risques, se repentiront de n’avoir pas quitté les affaires quand il n’y en avait plus. Et seront surpris d’entendre que les mêmes antiennes roulent toujours : le placement boursier moyen/long terme est le meilleur qui soit.

Le temps est-il le meilleur ami de l'investisseur ?
« Achetez de bons titres, mettez-les en portefeuille et oubliez-les » : telle était l’hygiène actionnariale de Timothy Bancroft, un investisseur américain qui s'enrichit en Bourse au milieu du XIXe siècle en thésaurisant des actions « représentant le négoce de marchandises essentielles dont l’Union et le reste du monde auront toujours besoin en grande quantité 6 ». Bancroft recommandait déjà le long terme et la sélectivité, autant de pieux cantiques qui font encore florès dans toutes les chapelles de la finance. Hélas, son portefeuille ne résista pas à l’usure du temps, qui fondit comme la cire molle au soleil. Et lorsqu’il fallut réaliser les actifs, à la mort du maître, ses héritiers ne touchèrent rien des richesses qu’il avait accumulées. Un demi-siècle passa, parsemé d'une dizaine de crises financières 7 ; voici 1929, la catastrophe d'octobre : Wall Street se mit alors à « kracher », et l'Amérique à déprimer durablement, ruinant l’activisme des uns et le bas de laine de tous les autres. Abasourdis, les cours ne retrouveront leur niveau de cet automne-là    - Les Maîtres enchanteurs -
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(…) Quiconque acheta le Dow Jones ce 3 septembre 1929, fut mal inspiré. L’indice, qui avait congédié le réel de longue date, culmina en séance à 386,10 points, propulsé par la forte fascination qu’exerçait la grande opinion financière sur le commun : économistes et experts de tout poil avalisaient le boom, analystes et banquiers rameutaient les troupes, et nul ne s'imaginait qu’un génie si partagé pût faillir. Ce qui se produisit est dans toutes les bouches : le krach emporta tout. A l’aube des années cinquante, Wall Street n’avait repris que les deux tiers du terrain abandonné. Enfin, le 24 novembre 1954, soit vingt-cinq ans après le choc, Wall Street retrouvait le niveau qu’on a dit (…)
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     - Boursonomics 31/03/2007 -

que le 24 novembre 1954, vingt-cinq années plus tard ! Beaucoup, qui eurent de la patience, n'eurent hélas pas la vitalité qui convenait à ce challenge de longue haleine. Les investisseurs de notre temps ont donc un avantage incomparable sur leurs devanciers : leur espérance de vie a augmenté.

Qu'importe le siècle, l'avenir des entreprises et des nations demeure celé ; les faiseurs d’argent continuent d'opiner à l’indicatif, ignorant la grammaire du subjonctif, celle du doute ; et le refrain du placement boursier dominateur continue de plaire, quoique continûment retoqué. L'Histoire balbutie        - Les dieux d’Epicure -
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(…) L’époque moderne décline une noire fascination pour le carnage financier : et cette constance est admirable ! Qu’on en juge à l'aune des vingt dernières années : 1987, krach des marchés d’actions ; 1990, krach des junk bonds, crise des caisses d’épargne américaines et chute du Nikkei ; 1994, krach obligataire aux Etats-Unis ; 1995, banqueroute de la Barings ; 1997, premier volet de la crise financière internationale (Thaïlande, Corée, Hongkong) ; 1998, deuxième volet (Russie, Brésil) et faillite du hedge fund LTCM ; 2001-2003, apoplexie de la Nouvelle Economie ; 2007-2008, asphyxie du crédit ! Pauvre Epicure, nos Marchés ne sont pas à l’effigie de vos dieux apaisés (…)
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     - Boursonomics 27/12/2008 -

. Voyez ce détenteur de titres Ericsson, une société bien en cour, qui les vit sombrer de 25% le 16 octobre dernier. Les conserva-t-il, les mains tremblantes ? Le 20 novembre, le titre rechutait de 11% ! L'échec forge l'expérience : les actionnaires individuels comptent désormais plus court. En France, ils ont divisé par deux leur durée moyenne de détention d’actions entre 2003 et 2006, la ramenant à quatre années 8. Aux Etats-Unis, plus généralement, les titres qui restaient détenus sept ans en moyenne en 1960 ne demeurent plus dans les portefeuilles que sept mois et demi 9. L’art nouveau est aux esthètes de la finance, ces nouveaux prodiges de la science du risque et de l’arbitrage qui sculptent et resculptent indéfiniment leurs positions et celles de leurs clients sur les marchés optionnels de la couverture. L’horizon temporel est un optimum de second rang, la matière première, c’est-à-dire les titres, une réalité désincarnée, mieux, une abstraction : 80% des fonds placés dans le monde restent en moyenne une semaine sur un placement 10. L'allocation optimale du capital, haletante, est à l'oeuvre.
 
« Rien ne s’arrange comme l’on veut ; et on passe sa vie à la remettre ; tout est pour demain » (Talleyrand). Les épées de la finance ne décident plus, pragmatiques, qui logent l’imprévu dans la technique et disséminent le risque sur la multitude      - La fièvre emprunteuse -
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(…) Le marché du LBO se nourrit d’endettement pour deux dollars sur trois, laquelle dette est ensuite syndiquée c’est-à-dire découpée en tranches, en rondelles, auprès de tiers qui assumeront le risque. Il en va aussi pour les prêts immobiliers, y compris les moins assurés d'entre eux, les subprimes, que l’industrie financière titrise à outrance (ABS, CDO, etc.). Les thuriféraires des Marchés efficients, autorégulateurs et sans âme, nous affirment que la dissémination des risques protège la planète d’une crise systémique. Tant mieux, mais c’est à voir ! Car ces liquidités, venues du levier, se coalisent dans des bulles : la fièvre acheteuse s’autocatalyse, le danger rôde, et bientôt la damnation (…)
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     - Boursonomics 29/07/2007 -

. Le long terme est une mer sans fond, une nuit sans lune ... Oceano nox !
 
    

   

(1) Plus haut à 4404,94 points en Juillet 1998 - Plus bas à 2881,21 en Octobre 1998

(2) L’Expansion, le 14/09/2000 - « Petit guide de rentrée pour actionnaire désorienté »

 

La prédiction est de Yannick Tatibouët, responsable à l’époque de la gestion des actions à la CPR. Le CAC 40 n’a à ce jour jamais encore franchi les 7.000 points. Il a touché son plus haut historique à 6.922,33 points en clôture le 09/09/2000. Il terminera l’année 2000 à 5.926,42 points.

 

(3) The Wall Street Journal, le 03/12/1999 - « The Bubble Won't Burst »

(4) Libération, le 06/03/2002

 

« Alors que Vivendi Universal annonce la plus grosse perte jamais réalisée par une entreprise française (près de 14 milliards d’euros en 2001), J2M prend tout le monde à revers avec cette annonce. Mais la magie des formules "choc" ne fonctionne plus, et Jean-Marie Messier quittera Vivendi Universal trois mois plus tard. »

 

(5) Le Nouvel Economiste, Décembre 2000

(6) Lars Tvede (2001) - « La Psychologie des Marchés Financiers »

 

Page 7 - « Dans The Money Game en 1967, Adam Smith (pseudonyme de George Goodman) décrit comment Timothy Bancroft, un spéculateur américain, gagna une fortune en Bourse au milieu d’un 19eme siècle. La philosophie de Bancroft était la suivante : ‘Achetez de bons titres, mettez-les en portefeuille et oubliez-les ‘. Par de ‘bons titres’, il entendait des titres représentant ‘le négoce de marchandises essentielles dont l’Union et le reste du monde auront toujours besoin en grande quantité’. Ainsi, Bancroft était-il un fondamentaliste. Il laissa une fortune de 1.355.250 dollars sur le papier, une somme colossale pour l’époque. Mais lorsque son actif fut réalisé, ses titres Gold Belt Mining, Carell Company of New Hampshire et American Alarm Clock ne valaient plus rien. Tout son patrimoine n’avait plus aucune valeur. Les temps changent et ce qui peut sembler sain et prometteur aujourd’hui peut perdre toute sa valeur alors même que l’investisseur fondamentaliste attend avec patience. »

 

(7) Charles Kindleberger (1978) - « Histoire mondiale de la spéculation financière »

 

Crises financières entre 1860 et 1929 – 1864 (France), 1866 (Angleterre/Italie), 1876 (Allemagne/Autriche, Etats-Unis), 1882 (France), 1890 (Angleterre, Etats-Unis), 1893 (Etats-Unis, Australie), 1907 (Etats-Unis, France/Italie), 1920-21 (Grande-Bretagne/Etats-Unis)

 

 (8) http://www.senat.fr/rap/r07-060-2/r07-060-221.html

 

Durée de détention apparente des actions françaises par les ménages (Source Sénat français)

 

2003 (T1) 7 années 8 mois (T2) 5 années 4 mois (T3) 4 années 6 mois (T4) 4 années 9 mois

2004 (T1) 4 années 2 mois (T2) 4 années 9 mois (T3) 5 années 2 mois (T4) 5 années 9 mois

2005 – (T1) 6 années 3 mois (T2) 6 années 3 mois (T3) 5 années 6 mois (T4) 5 années 1 mois

2006 – (T1) 4 années 7 mois (T2) 3 années 11 mois) (T3) 4 années 3 mois) (T4) 4 années

 

(9) http://igopp.org/fr/News/13_Allaire-Politique.pdf

(10) Jean De Kervasdoué (2007) - « Les Prêcheurs de l'Apocalypse »

    

 

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9 septembre 2007 7 09 /09 /septembre /2007 23:11


Statistiques-copie-1.jpgEn ce 5 mai 1789, une grande presse accourut à l’hôtel des Menus Plaisirs : les Etats Généraux, qui n’avaient plus été réunis depuis 1614, siégeaient à nouveau, avec ce désir de conjurer le marasme financier et la dégradation des affaires de France. Le roi, monarque brouillon et indécis, discourut le premier, malhabilement. Le Garde des Sceaux marmonna ensuite les intentions du souverain, qui n’en avait aucune. Puis vint le tour de Jacques Necker, Directeur Général des Finances, banquier talentueux à la réputation bien établie ; on attendait qu’il dévoilât un vaste dessein, un plan ambitieux qui eût sorti la nation de l’ornière et qu’on pût appliquer sur l’heure : las, on eut des chiffres à n'en plus finir, jusqu’à la nausée, trois heures durant ! L'assemblée décrocha ; Louis XVI lui-même, bercé par la transe statistique, finit, dit-on, par s’endormir. Les Etats souhaitaient un homme d’action, un Bonaparte avant l’heure, ils avaient un comptable. Et entendaient mal que des chiffres pussent tenir lieu de politique.
  
Ironie de l'Histoire, ceux de Necker étaient justes, ajoutant au désarroi du ministre qui n’avait pas compris qu’aucune statistique ne vaut à l’heure des mécomptes. La révolution emporta tout, bons comme mauvais chiffres. On se chercha de nouveaux maîtres, sans autre désir que de changer de tyran. L’affairisme refit surface : de nouveaux venus, qui philosophaient naguère, se mirent à l’économie. Les chiffres revinrent à l'affiche, entre deux bordées d’axiomes imparables qu’on commentait dans une langue inconnue. Bien vite la question ne fut plus de savoir si ces chiffres étaient bons ou mauvais, mais s’ils étaient justes ou faux : car c’est un art facile que de patiner les indicateurs au bénéfice des vues que l’on veut favoriser. Winston ChurchillEconomie pure

Winston Churchill est moins connu pour son prix Nobel de littérature que pour le renom qu’il se forgea en occupant cinquante ans durant le devant de la scène britannique. Homme d’Etat de premier plan, il se plaisait à dire que l’économie surpassait son entendement, et celle-ci le lui rendit bien : en 1925, alors qu’il occupait la Chancellerie de l’Echiquier, il fit rattacher à nouveau la livre sterling à l’or, à son niveau d’avant-guerre. Las, dix années d’inflation de guerre et d’après-guerre avaient laminé la monnaie : cette parité gâta tout, le chômage augmenta, la récession s’installa, laissant à persifler John Keynes sur les « Conséquences économiques de M. Churchill » (…)

, qui prétendait ne rien entendre à l’économie, ne serait pas dupe : « Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées ». Charles de Gaulle, dans un autre contexte, réputa le fameux « l’intendance suivra » - peut-être apocryphe -, montrant tout son éloignement pour les chiffres, n’abdiquant rien à ceux qui les produisaient ni à ceux qui les commentaient savamment. Quelques-uns se hissèrent ainsi au rang d’hommes d’Etat, cependant que tous les autres, politiciens de passage, subirent, complaisamment ou non, la loi des chiffres débités au kilomètre, élevés en sainte vérité. Et, pour ne point mentir tout à fait, on les trafiqua un peu, parfois au centième près, jusqu’à l’obsession : un chiffre doit être précis, surtout s’il est faux !

L’avènement d’un modèle économique implique d’abord de surpasser le précédent, ce qui invite à des premières statistiques flatteuses. Puis, par habitude, on maintient les coutumes. Les soviétiques ne furent pas les derniers à dissimuler leurs bilans, quoiqu’ils fussent plus enclins à rationner leur communication qu’à répandre de fausses données
1. Nul n’a oublié Stackhanov et ses records truqués, ni les chiffres étonnants qu’on corna pour célébrer le communisme : ainsi l’économie des Soviets aurait-elle été multipliée par 36 entre 1913 et 1959 quand celle de l'oncle Sam doublait seulement 2 ! L’OCDE révisera : le PIB qui affichait 1501 dollars par tête en 1913 ahanait à ... 2601 en 1950 3. L’Amérique n’est pas en reste, notamment sur le front symbolique de l’emploi et de la productivité. Celle des Etats-Unis végétait : en 1995, la productivité de la main d’œuvre plafonnait à 1% en rythme annuel de croissance. Le Bureau des Statistiques de l’Emploi changea alors sa jauge : il rapporta la puissance informatique 4, doublant tous les 18 mois selon la loi de Moore, au prix du matériel, augmentant en proportion la production de chaque heure de travail effectué. Cette magie transforma 2,4 milliards de dollars de débours informatiques en 14 milliards de production et fit bondir de 20% le PIB du troisième trimestre ! Au quatrième trimestre 1995, la productivité croissait de 6,9% en rythme annuel 2 ! Voici que « le PNB américain commence à ressembler, pour la fiabilité statistique à celui de l’Union soviétique 5 » (Emmanuel Todd).
 
L'Europe ne déroge pas. Voyez l’Angleterre, Margaret Thatcher, sa dame de fer, son renouveau libéral des années 1970 ; la thérapie de choc exige des résultats à l’unisson, surtout sur la question centrale du chômage. On hésite, on louvoie : entre 1979 et 1988, le mode de calcul est changé vingt-deux fois 6 ! Le chômage baisse. En France, on s’écharpe encore sur les chiffres : fin juin 2007, l’INSEE proposait un taux de chômage moyen de 9,4% pour le premier trimestre tandis que les autorités se flattaient de 8,5% 7. Ainsi le principe axiomatique est-il que les chiffres sont justes jusqu’à ce qu’ils deviennent faux, selon le temps et l’énergie que les instituts qui les émettent mettront à les réexaminer. L’empire soviétique révisait peu, le géant américain révise beaucoup tant il se trompe dans sa hâte à produire de bonnes nouvelles, ou de moins mauvaises. Que vaut ce décompte récent du chômage outre-atlantique qui dénombra en première instance 4.000 suppressions d’emplois 8 pour le mois d’août 2007 quand on visait 110.000 créations de postes ? Outre qu’il soit décevant, quel crédit lui accorder quand le même jour on révisa les chiffres de juillet à 68.000 emplois générés contre 92.000 annoncés, pis encore, ceux de juin, ramenés de 126.000 à 69.000 7 ? La prévision est faussePresque toujours fausses

(…) Six milliards d’individus jamais en repos s’agitent et grouillent ; ce charivari planétaire défait chaque jour les vérités apprêtées la veille. Et de cette fièvre tourbillonnante, imprévisible, surgit la marche du monde, inopinée et confuse : on aimerait bien sûr que celle-ci fût plus ordonnée, mieux disciplinée, surtout, qu’elle fût plus calculable ! Mille variables, mille équations, mille ordinateurs, arc-boutés vers un chiffre magique, un seul, qui embrasserait d’un seul regard le réel tout entier : le marquis de Laplace en rêvait ! Deux siècles après, L’INSEE confessait pourtant que « les progrès de la prévision n’étaient pas manifestes » (…)

, le comptage est faux, les chiffres définitifs sont à la merci de celui qui tient le couteau et partage le gâteau. C’est la règle.
 
Nous ne savons rien des mensonges qui auront été versés dans des tableaux de bord complices, et la part frauduleuse que l’on aura su rendre miscible dans les indicateurs majeurs comme le PIB, les balances des paiements, les budgets. Coincés entre les grands équilibres, la contrainte extérieure, l’opinion qui vote et les marchés financiers qui chutent ou grimpent selon qui parle en dernier, les Etats manient la statistique en raffinant l’opaque. La prévision est un cordeau lâche qui délimite mal. Les économistes opinent, éclairés et sûrs d’eux, décodant doctement cet air du temps, jamais empêchés de commenter des chiffres parfois tout à fait faux. Et ce volapuk embarrassé éblouit autant qu’il dispense le maître de s’expliquer davantage. « Laissez trois économistes ensemble et vous êtes sûr d’avoir au moins quatre avis sur la politique à suivre 9 » raillait Milton Friedman, économiste lui-même, Nobel de surcroît. Les sociétés ne sont pas en reste : Enron, Parmalat, Worldcom et tant d’autres qui n’y allèrent pas à moitié, le cœur sur la main et la main dans la poche, déversant continûment leurs chiffres frelatés sous l’œil comparse des meilleures enseignes, banques d’affaires et auditeurs de haut vol. Hé quoi, les bancanalystesBancanalystes

(...) Ceux d’autrefois étincelaient moins. A l'écart, loin des parquets, coincés entre la comptabilité et le contrôle de gestion, on les imagine trois-pièces strict, plutôt sombre, chemise blanche contractuelle, à décrypter d’infinies chroniques de chiffres et de perspectives. Les analystes financiers de l’ancienne époque étaient sûrement de cette sorte, à s’échiner pour le roi de Prusse, décortiquant sans relâche les communiqués des sociétés afin de chiffrer les belles. Puis vinrent les années 1990, pleines d’excès et d'abus. Les commis industrieux déposèrent les bilans : la nouvelle génération sonna le carillon des roadshows, du marketing boursier et de la création de valeur (…)

 connivents ne sont jamais loin ! Aux USA, pour une recommandation à la vente, il y en avait six à l’achat en 1991 et … cent en 2000
10 ! Peu après, l'e-Economie kracha le surplus.
 
Finalement, les chiffres ne paraissent avoir de constance que dans l’excès, faisant de ceux qui s’en méfient les plus ardents défenseurs. Car il faudra bien continuer de jauger, peser, calibrer, même « si beaucoup de choses non chiffrables nous donnent une satisfaction plus grande que ce qui peut être mesuré 11 »  (John Galbraith).

 
    

 
(1) Jacques Sapir (1998) - « Le Krach Russe »
(2) William Bonner (2004) - « L'Inéluctable Faillite de l'Economie Américaine »
(3) Angus Maddison (2001) - « L'Economie Mondiale : Une Perspective Millénaire / OCDE »
 
PIB par habitant en dollars internationaux de 1990 - Pays d'immigration européenne (Etats-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) 1913 (5257) - 1950 (9288) - Europe de l'Est et ex-URSS 1913 (1501) 1950 (2601)
 
(4) Michel Aglietta - Antoine Rebérioux (2004) - « Dérives du Capitalisme Financier »
 
Dès 1987, Robert Solow, prix Nobel d'Economie, s'était ému qu'on ne considérât pas la contribution de l'informatique dans les indicateurs de productivité. Il souleva alors le fameux paradoxe suivant : « You can see the computer age everywhere but not in the productivity statistics », que l'on peut traduire ainsi :« L'âge des ordinateurs est perceptible partout sauf dans les statistiques de productivité ».
 
(5) Emmanuel Todd (2002) - « Après l'Empire »
(6) Libération, le 27/06/1988 / Bernard Maris (1990) - « Des Economistes Au-dessus de Tout ... »
(7) Les Echos, le 29/06/2007 - « Le chômage sous la barre des deux millions »
(8) Reuters, le 07/09/2007 - « Première baisse depuis 2003 pour le marché du travail américain »
(9) Milton Friedman (1969) - « Inflation et Système Monétaire »
(10) Michel Aglietta / Antoine Rebérioux (2004) - « Dérives du Capitalisme Financier »
(11) John Galbraith (1981) – « Tout Savoir ou Presque sur l'Economie »
    

 

Illustration : Extrait du site http://www.dreams-cars.net/images/Design?D=A

 
 
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