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Boursonomics

  • : Boursonomics
  • : Marche aléatoire autour des Marchés financiers et de la sphère économique. Peinture décalée d'un monde empli de certitudes qui oublie trop souvent ses leçons d'Histoire
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21 janvier 2007 7 21 /01 /janvier /2007 20:46
 
 
Ce pays est immense, jusqu’au tréfonds, gonflé de richesses fossiles et minérales. A l'époque soviétique, la production d’hydrocarbures menait même le bal mondial - 12,5 millions de barils par jour en 1988 ! Hélas, quand Boris Nikolaïevitch Eltsine vient au pouvoir, en 1992, la Russie est financièrement exsangue. La Fédération n’a plus un sou vaillant : la crise économique, la transition postcommuniste, mille douleurs l’ont minée. Le maître du Kremlin s’affaire : incapable d'enrayer la chute de la production de brut 1, encore moins de lancer de nouveaux forages, il propose des partenariats à des groupes étrangers : trois contrats pétrogaziers sont signés en 1994/1995, pour l’île de Sakhaline et la région d’Arkhangelsk. En parallèle, Eltsine privatise, au profit de quelques oligarques : Roman Abramovitch et Boris Berezovski captent 49% de Sibneft pour 100 millions de dollars, Mikhaïl Khodorkovski, 45% de IoukosLa steppe est balayée d’un vent de sable glacial ; des orages de poussière se lèvent parfois, qui charrient de fines particules rouges d’une mine d’uranium toute proche, à ciel ouvert, abandonnée en l'état depuis dix ans. Partout alentour, un désert lunaire, rongé par la radioactivité et le froid extrême … pour 159 millions ! En juillet 1996, Boris Nikolaïevitch est réélu grâce au zèle médiatico-financier de ces nouveaux russes 2. Mais l'heure des mécomptes va sonner. A l'été 1998, après huit ans d'une politique économique brouillonne, l'impensable se produit : le 17 août, la Russie se déclare en faillite. Une puissance nucléaire est au tapis. 
 
L’île de Sakhaline, au bout des terres russes, regorge d’or bleu : 1100 milliards de m3 de gaz dorment ici, en mer d’Okhotsk, jouxtant 375 millions de tonnes de pétrole. On cadastre les gisements : le 22 juin 1994, le premier contrat de partage de production, dit Sakhaline-2, est signé avec Sakhalin Energy, un consortium liant l'anglo-néerlandais Royal Dutch Shell (55%) et les japonais Mitsui (25%) et Mitsubishi Corporation (20%). Coût du projet : 10 milliards de dollars, à la charge des seuls attributaires, qui, selon le Production Share Agreement, se paieront sur la bête jusqu’au remboursement de leurs investissements, avant de partager les dividendes avec l'Etat. C'est un chantier pharaonique, qui exige la construction d’une usine de liquéfaction du gaz, d’un gazoduc et d’un oléoduc de 800 kilomètres chacun, entre autres équipements taillés pour exploiter 633 milliards de m3 de gaz et 126 millions de tonnes de pétrole ! Sakhaline-1 3, d’un gabarit comparable, sera paraphé le 30 juin 1995, mais son tour de table est mieux accommodé, qui intègre le pétrolier local Rosneft, farouche opposant du géant Gazprom ; enfin, le 22 décembre 1995, Total héritera le gisement pétrogazier de Khariaga 4Mais ce n'est qu'en 1996 que la loi sur le partage de production légitimera ces ukases eltsiniens. Un problème subsiste cependant, qu'on avait négligé lors de la grande braderie : Sakhaline-2 n'associe aucune compagnie russe.
 
Mi-juillet 2005, l’affaire dérape : après avoir annoncé une augmentation des coûts de construction de 10 à 12 milliards de dollars, Shell révise à nouveau l’enveloppe du projet à la hausse : enchérissement des prix de l’acier, inflation générale et risque de change sont à l’exposé des motifs. Cette fois, l’addition est salée : Sakhaline-2 pourrait coûter près de 20 milliards de dollars d’ici à 2014 ! De surcroît, les premières livraisons de gaz seraient retardées de six mois, pour démarrer à l’été 2008 5. Ce doublement des coûts crispe l’Etat russe, qui voit s’éloigner l’échéance de versement de ses premiers dividendes, prévus pour juin 2005 6 dans l‘accord de 1994 ! L'occasion était trop belle de renouer avec d'anciennes coutumes, d'autant qu'il y avait beau temps que Gazprom, goliath pétrogazier, troisième capitalisation boursièreLe 20 juillet, Yahoo, portail Internet de renommée mondiale, publia des résultats qui déçurent ; la sanction suivit : le cours perdit près de 19% en séance. La capitalisation boursière de la société fut amputée de 9 milliards de dollars ! On vit pire : Gazprom, le géant russe des énergies fossiles, perdit 35 milliards de dollars de valeur entre le 7 et le 16 mai, après que celle-ci eut doublée l'année précédente, projetant le gazier à la troisième place mondiale … de la planète, dauphin d’ExxonMobil, convoitait Sakhaline-2. Exclu des Production Share Agreement (PSA) d’Eltsine, Gazprom croyait avoir touché au but, qui avait signé quelques jours auparavant avec Shell un protocole d’accord prévoyant son entrée dans Sakhaline-2 à hauteur de 25 %, en contrepartie d'une participation de 50 % dans le champ gazier arctique de Zapolyarnoye 7. Brutalement les conditions de ce « traité de paix » avaient changé, et l’anglo-néerlandais en était responsable. On ne brave pas impunément l’Etat russe, ni davantage Gazprom. Ce sont les mêmes.
 
Alors, l’écologie devint la grande affaire. On convoqua le ban et l’arrière-ban, à commencer par les chaînes de télévision publiques qui montrèrent des méduses échouées, force quantité de crabes, de trépangs, de mollusques, d'oursins, de poissons et d'autres animaux marins rejetés sur la côte du golfe d'Aniva. On fit cas des baleines grises occidentales s’alimentant durant l’été dans la zone, une espèce menacée d’extinction réduite à une centaine de sujets. Bien sûr, la construction des pipelines sur 800 kilomètres montra la saignée dans les forêts de conifères, coupant plus de mille cours d'eau qui regorgeaient de poissons crevés. Sans oublier les frayères naturelles touchées, notamment celles du saumon rose, qui fait vivre 40.000 personnes sur l’île 8. Enfin, on donna abondamment la parole à des organisations écologistes locales que l’on avait tout aussi abondamment ignorées pendant des années. Bref, on mit le paquet. Un certain Oleg Mitvol, vice-directeur du Rosprirodnadzor 9, fut le héraut de cette offensive, qui multiplia les déclarations outragées. Et quand en novembre 2006, il évalua les dégâts du projet Sakhaline-2 à quelque 10 milliards de dollars 10, Shell rendit les armes. Nul n’avait envisagé qu'un chantier si considérable pût avoir des conséquences environnementales. Subitement, la Russie venait d’en prendre conscience, après les décennies du carnage écologique que l'on sait.
 
Le 20 septembre 2006, l'ambassadeur de Russie au Japon, Alexandre Loussioukov, déclarait que Sakhaline-2 serait vite en ordre de bataille si un groupe public menait le projet 11. On entendit mieux que bien ce qu’on lui avait soufflé : le 21 décembre, le géant gazopétrolier Gazprom faisait main basse sur Sakhalin Energy en se faisant discounter 50% des actions plus une, au prix de 7,45 milliards de dollars. Un prix d’ami 12. Royal Dutch Shell, Mitsui et Mitsubishi, auront rabattu leurs prétentions de moitié … « Je veux remercier les parties prenantes pour la flexibilité dont elles ont fait preuve » résumera Vladimir Poutine, impénétrable : on ne saurait dire avec moins de cynisme ! Ainsi la kremlinisation de l'économie russe, notamment son secteur pétrolier, avance-t-elle au pas cadencé : après l'expropriation de Ioukos à coup de châtiments fiscaux et sa vente rocambolesque aux enchères au groupe public Rosneft, après le rachat de Sibneft à Roman Abramovitch, prudemment exilé outre-manche, voici Sakhaline-2 dans le giron de Gazprom, la « Saint-pétersbourgeoise ». La boucle est presque bouclée : qu'adviendra-t-il de Sakhaline-1 (ExxonMobil) et Khariaga (Total), mieux protégés dit-on des dommages écologiques par la présence de capitaux russes ? C'est à voir. Pour Sakhaline-2, le rideau est tombé ; on n'entendra plus la dialectique indignée du bon soldat Oleg Mitvol : sa mission est terminée.
 
Bye bye Boris Nikolaïevitch : l’Histoire se souviendra de vous, debout sur un char devant la Maison-Blanche de Russie, incarnation moderne de « La liberté guidant le peuple ». Un temps nouveau est maintenant venu, qui ne pouvait être sans que vous fussiez. Place à la realpolitik : l'heure est à la reconquêteA 38 ans, l'oligarque Oleg Deripaska contrôle déjà Russian Aluminium, le troisième producteur mondial d’aluminium derrière Alcoa et Alcan. Son ambition est plus grande encore, qui vise à absorber son dauphin local, Sual, sixième mondial. Cette union, convenue début août, fera alors émerger le premier producteur mondial d’aluminium primaire, et le troisième extracteur de bauxite …. 
 
 

 
(1) La production tombera à 6,16 millions de barils par jour en 1998 ;
(2) Les « Prêts contre actions » ne donnaient le contrôle des privatisées qu'après l'élection de 1996
(3) Exxon Neftegaz (30%), ONGC (20%) -Inde, Rosneft (20%), SODECO (30%) - Japon
(4) Total (50%), Norsk Hydro (40%), Compagnie pétrolière de Nenetsk (10%)
(5) Les Echos, le 15/07/2005
(6) Le Courrier de Russie – Juillet-Août 2006
(7) Les Echos, le 18/07/2005
(8) Ria Novosti, le 06/10/2006
(9) Organisme national russe de la protection de l’environnement
(10) Libération, le 13/12/2006
(11) Reuters , le 21/09/2006
(12) AFP, le 22/12/2006 – Le Crédit Suisse a estimé le prix du marché à 11 milliards de dollars



 
Illustration : champ pétrolier et derricks
 
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8 octobre 2006 7 08 /10 /octobre /2006 02:38
 
 
La balafre court sur 250 kilomètres, d’est en ouest à travers la péninsule ; défenses antichars, batteries camouflées, sentinelles prêtes à tirer, et barbelés sur lesquels s’agrippent d’effrayants panneaux aux têtes de mort signalant les champs de mine à l’entour : près de la zone démilitarisée (DMZ) qui sépare les deux Corée, rien n’a vraiment changé depuis l’armistice de 1953. Dans ce corridor de quatre kilomètres de large, les deux camps s’observent ; ici, le temps s’est figé. A peine 60 kilomètres au nord, les orgues de Staline de Pyongyang visent Séoul. Une armée d’un million de soldats dont 70% massés aux abords de la DMZ, demeure l’arme au pied, nantie de dix mille pièces d’artillerie et lance-missiles dirigés sur la capitale adverse où se presse 40% de la population sud-coréenne ...
 
Selon les estimations américaines, un conflit fraternel pourrait faire plus d’un million de morts dans les premières semaines 1. La puissance nucléaire ne ferait pas mieux. Sinistre constat ! Aux pays des matins calmes, la sérénité se porte crispée.
 
Dès 1991, l’administration américaine s’inquiéta des activités du complexe de Yongbyon, et de son réacteur à graphite. Le traité de non-prolifération (TNP), qui autorise l’atome civil, accorde des droits d’autodéfense aux pays non détenteurs d’armes nucléaires qui seraient sous la menace de ce type d’armement. Précisément, les Etats-Unis en possédaient en Corée du Sud, qu’ils retirèrent à l’initiative de Georges Bush senior au soir de son mandat. Dès janvier 1992, Bill Clinton cessa cette diplomatie, axant toute son action vers l’économie, sans un oeil pour Pyongyang. Six semaines plus tard, Kim Il-Sung intrigua, et annonça son retrait du TNP au motif que les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) étaient aux ordres de la CIA. La crise ainsi déclenchée, envenimée par une formidable propagande allait durer dix-huit mois et s’aggraver dramatiquement quand, en mai 1994, la Corée du Nord déchargea du réacteur de Yongbyon 8 000 barres de combustible irradié contenant assez de plutonium pour fabriquer cinq ou six bombes atomiques 2. Fin juin, Bill Clinton s’apprêtait à frapper en Corée du Nord. L’ancien président Carter s’envola pour Pyongyang, où il obtint de Kim Il-Sung l’engagement d’un gel total du complexe de Yongbyon. On l’avait échappé belle.
 
La diplomatie prit alors la main, et l’on joua au chat et à la souris jusqu’en 2002 : les services de renseignement américains, qui détenaient la preuve que la Corée du Nord avait commencé en 1998 à importer des technologies concernant un nouveau programme nucléaire d’enrichissement de l’uranium, crevèrent l’abcès. Le nouveau maître de Washington traça l’Axe du Mal ; les nord-coréens en étaient, qui admirent qu’ils auraient conclu avec Islamabad un accord prévoyant le transfert de missiles nord-coréens au Pakistan contre de la technologie pakistanaise d’enrichissement de l’uranium. De quoi fabriquer une ou deux très grosses bombes atomiques par an, sur le modèle de celles du Pakistan 3. L’accord-cadre de 1994 sur le gel du réacteur de Yongbyon était nul et non avenu. Selon la méthode de son père, Kim Jong-Il expulsa fin 2002, les inspecteurs de l’AIEA, dénonçant comme lui des instruments de Washington, et commença ensuite à charger de nouvelles barres de combustible à Yongbyon. Le 10 janvier 2003, elle annonçait qu’elle se retirait du TNP et que toute sanction prise à son encontre par le Conseil de sécurité de l’ONU serait considérée comme une « déclaration de guerre ». Depuis, on se menace.
 
Jusqu’à présent, les missiles nord-coréens ont fait pschitt … ce qui évidemment ne signifie pas que les prochains ne feront pas boum ! Souvenons-nous des Scud Irakiens de la première guerre du Golfe qui nous promettaient l'apocalypse et dont nul ne se souvient plus, à brûle-pourpoint, s'ils ont fait le moindre blessé. Comme d'habitude, quelques dictateurs font monter la mayonnaise pour exister sur la scène internationale. Dans ce chantage à la terreur, la Corée du Nord refait régulièrement surface. En dernier lieu, au mois de juillet, Pyongyang avait tiré une salve de missiles qui avait inquiété ; Shinzo Abe, alors simple porte-parole du gouvernement japonais, aujourd’hui premier ministre, avait évoqué la possibilité pour le Japon de recourir à une frappe préventive contre son voisin nord-coréen – précisant peu après que Tokyo n’en avait pas l’intention 4. En réalité, Pyongyang recherche la manne internationale, sans autres moyens de l’attirer sur son sol que par l'épouvante que ses dirigeants font régner en surfant sur les oppositions des grandes puissances (Chine et Russie d'un côté, le reste de l'autre). Souvenons-nous que Bill Clinton tenta, après l’accord de 1994, de parvenir à un accord global en offrant une aide économique contre le gel du programme nucléaire. C’est le cœur du problème.  
 
La Corée du Nord recherche de l'argent pour nourrir - un peu - son peuple affamé par un stalinisme plus stalinien que le stalinisme pensé par Staline lui-même, ce qui est peu dire ! Mais qui peut bien en vouloir à la Corée du Nord ? Qui peut bien menacer des intérêts quelconques de la Corée du Nord qui précisément n'en a aucun ? Personne bien sûr ! Les oligarques népotiques de Pyongyang ont donc le jeu facile : gesticuler, menacer la paix mondiale pour survivre et grappiller les capitaux qui entretiendront ce système préhumain. Mi-juillet, des inondations monstres auraient fait 10000 morts, navré une part importante des récoltes 5 … Pendant ce temps, on parade et on agite les drapeaux dans des défilés ubuesques multicolores. L’affaire peut durer un certain temps : mais qui a vu l'impensable effondrement de l'Union Soviétique ne doutera pas de l'implosion programmée de la Corée du Nord. Car, inéluctablement, viendra le temps, où le système s'autodétruira, asphyxié par ses propres sécrétions Et le monde sera alors pris de nausée ...




 
(1) Le Monde, le 07/02/2003
(2) Le Monde Diplomatique, Février 2003

(3) Cyberscopie, Juillet 2004
(4) Le Monde, le 14/07/2006
(5) La Dépêche du Midi, le 03/08/2006

  
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23 septembre 2006 6 23 /09 /septembre /2006 17:38
 
 
 
A 38 ans, l'oligarque Oleg Deripaska contrôle déjà Russian Aluminium, le troisième producteur mondial d’aluminium derrière Alcoa et Alcan. Son ambition est plus grande encore, qui vise à absorber son dauphin local, Sual, sixième mondial. Cette union, convenue début août, fera alors émerger le premier producteur mondial d’aluminium primaire, et le troisième extracteur de bauxite. L’opération est estimée aux environs de 30 milliards de dollars, et son dénouement, proche, a reçu l'aval de Vladimir Poutine, maître du Kremlin et du jeu économique de la Fédération 1 : une chance sûrement pour Oleg Deripaska, ancien proche de Boris Eltsine, qui fonda RusAl avec un autre oligarque, Roman Abramovitch, actuel patron du club de football de Chelsea et précédent propriétaire du pétrolier Sibneft, cédé depuis à Gazprom. La kremlinisation de l'économie russe est en cours. Et Gazprom, son bras armé. 
 
Les manoeuvres pétrogazières sont intenses, qui visent à défaire la grande braderie de la période Eltsine. Et tous les moyens semblent permis. On rappellera que Sibneft et Ioukos, ex-géant russe du pétrole, liquidé, avait failli fusionner, avant que Mikhaïl Khodorkovski, un autre oligarque proche d’Eltsine,  ne soit défait de sa compagnie manu militari, expédié vers un repentir sibérien « bien mérité ». Ainsi, tous les oligarques de la période Eltsine qui captèrent les ressources locales, parfois sans vergogne, n’auront pas tous conquis son successeur : les uns libres, à l’Ouest, les autres moins, à l’Est. Oleg Deripaska est toujours en cour, adoubé semble-t-il sur le dossier aluminium, une pièce parmi d'autres du grand capitalisme d’Etat que Vladimir Poutine appelle de ses vœux et façonne avec conviction. Ce grand dessein consiste d’abord à remettre la main sur les immenses richesses fossiles et minérales du sous-sol russe que l'administration d’Eltsine avait littéralement soldées ; puis à rappeler le ban et l’arrière-ban des entreprises de la Fédération, conviées à convoler ensemble afin de constituer des mastodontes, futurs champions mondiaux de l’énergie, de la sidérurgie, de l’aluminium, mais aussi de l’aéronautique et de la pharmacie.
 
Et à tout seigneur, tout honneur : voici Gazprom, le fleuron, qui a dépossédé Microsoft de sa troisième place à la capitalisation boursière mondiale. Le géant, à l’actionnariat proprement nébuleux mais à la direction bien cadenassée – Dimitri Medvedev, 41 ans, président du conseil d’administration de Gazprom, vice-premier ministre, héritier possible de Poutine, originaire de Saint-Petersbourg comme lui -, contrôle notamment 16% des réserves gazières mondiales et produit annuellement 21% du gaz naturel de la planète. Gazprom encore, groupe pétrolier qui produit plus d’un million de barils par jour, par sa filiale Gazprom Neft qui a repris 75% de Sibneft et qui se verra gratifiée d’une part de Ioukos. Gazprom toujours, dans l’électricité, donc le nucléaire, qui détient 100% d’Atomstroyexport, qui investira 60 milliards de dollars dans la mise en chantier de 40 centrales nucléaires sur 25 ans 2.
 
Voici aussi, Rosneft, la pétrolière, assise sur la dépouille de Ioukos, qui fut récemment introduite à la Bourse de Londres avec moult pérégrinations, non sans que le Kremlin eût mobilisé plusieurs compagnies de premier plan intéressées par le pétrole russe, en leur faisant comprendre qu'acheter du Rosneft serait un «geste important» pour leur avenir en Russie (BP, Petronas, CNPC) 3, Rosneft donc, dirigée par Igor Setchine, chef adjoint de l’administration présidentielle russe, héritier possible de Poutine, originaire de … Saint-Petersbourg. Les grandes manœuvres ne sont pas achevées dans la reprise en main de l’or noir : dernièrement, Shell s’est vu retiré le droit de développer son projet Sakhaline 2, ExxonMobil, est menacé sur son projet Sakhaline 1, et Total tremble sur la suspension possible de son contrat sur le gisement de Khariaga. TNK-BP, bras armé du britannique BP en Russie craint également de se voir retirer son autorisation d’exploiter le champ gazier de Konytka. Environnement et calendrier sont les raisons invoquées, qui ne trompent personne sur les motivations réelles des dirigeants russes. Fin du premier acte.  
 
Car le temps est maintenant venu pour l’ambitieuse Russie, qui dispose d’abondants capitaux, de partir à la conquête de l’Ouest. Le premier au feu fut Severstal, géant russe de l’acier, dirigé par l'oligarque, Alexeï Mordachov, 40 ans, qui ne se le fit pas redire lorsque Guy Dollé le requit pour extraire Arcelor des griffes de Mittal. Cavalier blanc, mais pas cavalier seul, n’en doutons pas, car Mordachov fût devenu le principal actionnaire du numéro un mondial de l’acier en cas de succès ! Raté ! Le géant de l’aluminium en gestation – RusAl/Sual -, offrira une première revanche, en acquérant l’italien Eurallumina 4. On vit aussi la deuxième compagnie aurifère russe Polymetal, convier le conglomérat AngloGold dans une « sorte » de partenariat. Bien sûr, Gazprom, dont la liste des acquisitions et des coopérations est longue comme un jour sans pain, avec Suez ou GDF en point de mire si la fusion échouait. Mais le fait le plus marquant est l’entrée de la banque publique Vnechtorgbank au capital d'EADS, à hauteur de 5%, en vue d’une alliance avec le futur holding d’Etat OAK, qui regroupera les fleurons de l’aéronautique russe : en jeu, une grosse commande d’Aeroflot. L'affaire est entre les mains des politiques, au plus haut niveau.
 
Périodiquement, l'establishment politico-économique russe s’émeut de ce que son pays et ses entreprises ne soient pas perçus comme des partenaires respectés, fiables et dignes de confiance. Mais que penser de l’agonie téléguidée de Ioukos, qui illustra avec acuité tout ce que le mélange des mœurs affairistes et la confusion des genres entre la sphère de l’économie privée et le plus haut niveau politique pouvait générer d’arbitraire, d’incertain, d’improbable ? Sur un autre plan, comment ne pas percevoir dans la détermination des dirigeants à évincer les investisseurs étrangers de secteurs stratégiques de son économie, notamment pétroliers, l’avance masquée vers des relations économiques parfaitement asymétriques ? Pour l’heure, la Russie a été recalée à  l’OMC : les démocraties européennes auraient intérêt à promouvoir elles aussi de véritables champions, à la gouvernance mieux charpentée que celle d’EADS, pour mieux défendre leurs propres intérêts.
 
Car en face, le capitalisme russe, étatique et post-communiste, n’en a pas encore fini avec les coutumes de la défunte URSS. Le népotisme et les clans s’affairent : récemment, le directeur du FSB (ex-KGB) a fait bombarder son fils de 25 ans au poste de conseiller d’Igor Setchine, PDG de Rosneft. Le premier ministre russe a placé son fils cadet de 23 ans à un poste clé au ministère des Affaires Etrangères, tandis que son aîné fait déjà partie des dirigeants de Vnechtorgbank. Et le gouverneur de Saint-Petersbourg a expédié son fils au poste de senior-vice-président de la même banque. Enfin, le ministre de la Défense, Sergueï Ivanov, ami du président Poutine, et son possible successeur, a décroché pour son fils de 28 ans le poste de vice-président de GazpromBank, troisième banque du pays 5.
 
Histoire de bien bétonner le capitalisme d’Etat russe. Ayez confiance …



 
(1) Les Echos, le 22/08/2006
(2) Investir, le 09/09/2006

(3) Libération, le 14/07/2006
(4) Le Monde, le 01/09/2006
(5) La Tribune, le 22/09/2006


 
Illustration : Catherine II de Russie (1729-1796) chevauchant  
 
 
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4 août 2006 5 04 /08 /août /2006 00:36
 
 
Phéniciens et Mycéniens rivalisaient déjà, voici 5000 ans, pour la navigation en Méditerranée. Ces peuples antiques, marins avisés qui maîtrisaient le négoce maritime, fondèrent maints comptoirs et leurs civilisations prospérèrent un temps. Très tôt cependant, leurs navires, bien achalandés mais peu défendus, furent la proie d’écumeurs des mers, et la Grande Bleue se changea vite en un haut lieu de brigandage. Loin des regards, les pirates maraudaient : puis les Romains s’en mêlèrent, qui remirent de l’ordre sur le pourtour méditerranéen dans un bain de sang épique. Plus tard, à des époques différentes, Vandales, Sarrasins et Barbaresques feront à nouveau régner la terreur en Méditerranée. Mais est-on si sûr que ce passé est vraiment révolu ?
 
 
Pirates, corsaires, boucaniers ... les histoires de flibustes fascinent. Et particulièrement celles des temps modernes lorsqu’elles se situent dans le détroit de Malacca, entre l’Indonésie et la Malaisie, par où passe près du quart du commerce maritime international et la moitié du pétrole transporté par tankers. La Chine est concernée au premier chef, parfaitement sensibilisée au problème, qui tente d’organiser un acheminement alternatif par pipe-lines terrestres en Asie centrale. Car, dans les mers d’Asie, les points d’étranglement ne manquent pas comme autant d’autres détroits névralgiques : Balabac, Macassar, Lombok, Kelasa ... Mais de tous, celui de Malacca domine : 80% des importations pétrolières de Pékin y transite.
 
Une rupture de ce flux de 50000 navires par an et c’est la crise économique globale assurée. On se souvient de la crise de Suez, en 1956, et des risques qu’elle fit courir à la planète. On imagine Ormuz. Mais a-t-on pensé à Malacca ? Pis, que de simples « chiens de mer », des pirates, menacent l’ordre de la mondialisation ? 4000 actes de piraterie ont été dénombrés depuis 1984, dont la moitié en Asie ; le phénomène s’est même amplifié ces derniers temps, avec 330 cas dénombrés dont 169 en Asie du Sud-est en 2004 : et 92 d’entre eux concernaient des attaques ou tentatives d’attaques en mer, dont 74% dans le détroit de Malacca 1 ... Certes, la majorité de ces attaques sont de faible intensité, parfois de simples larcins, mais une petite vingtaine d’entre eux ne laisse pas d’inquiéter : morts et blessés par balles, équipages kidnappés, demande de rançon, exécution des otages.
 
Les pays de la région se montrent peu empressés à mettre de l’ordre dans ces affaires, comme jadis les Romains s’y appliquèrent. Il est vrai qu’ils n’ont pas eux-mêmes de raisons particulières de payer de leurs poches la protection d’un trafic passant dans des eaux internationales et sur lequel ils ne perçoivent aucune redevance : le détroit de Malacca n’est pas le rail d’Ouessant, dont une bonne partie est hors des eaux territoriales françaises ! Quant aux propriétaires des bateaux, ils se montrent également peu concernés, et le demeureront tant que le coût de la protection demeurera supérieur aux pertes occasionnées. Or donc, conformément à cette loi du marché, la piraterie a encore de beaux jours devant elle dans les mers d’Asie : une situation qui durera tant que la Chine se contrefichera de ces flibustiers locaux.
 
Car en vérité, l’angoisse de la Chine, impliquée au premier chef dans cette mosaïque d’états morcelés et de sultanats, est d’une autre nature : c’est que Washington utilise sa flotte de guerre pour verrouiller le détroit de Malacca, à l’occasion par exemple de relations envenimées entre Pékin et Taiwan. Voilà qui pourrait étouffer la machine économique chinoise : c’est pourquoi la Chine tente-t-elle de mettre en place un « collier de perles sur l’Océan Indien » 2 , en négociant activement des facilités navales avec les états riverains, comme le Bangladesh notamment. Pour y apponter sa flotte de guerre à portée de canons.
 
Souvenez-vous de Malacca, ses pirates, la Chine, les Etats-Unis ... Le pétrole surtout !



 
(1) Alternatives Internationales - Septembre 2005
(2) Alternatives Internationales - Mars 2006

 


 
 
 
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  • Hors du temps
    Louis-Philippe de France, né d’Orléans aura été le second 1 , et donc le dernier roi des Français, dirait-on-mieux, de quelques Français. Certes, mille ans de monarchie héréditaire avaient montré combien l’Ancien Régime considérait peu ceux qui n'étaient...
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    Isaac Newton fit cette admirable promesse que le monde suivait une trajectoire déterministe, puis se fit ironiquement plumer dans le naufrage de la Compagnie des Mers du Sud en 1720. N’importe, cette fièvre de l’absolu étreignit les meilleurs esprits,...
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    Le brasseur Scottish & Newcastle attirait les convoitises de longue date, entre autres celles du danois Carlsberg et du néerlandais Heineken 1 , mais au printemps 2007 sa capitulation n’était pas encore à l’ordre du jour. La City regrettait le millésime...
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    Tim Geithner fut adoubé sans veillée d’armes et séance tenante : sitôt connue, sa nomination au Secrétariat au Trésor fouetta le Dow Jones, qui s'enchérit de 11,8%, sa plus forte marche en avant sur deux jours depuis 1987 ! Les banques, sévèrement éprouvées,...