6 décembre 2006
3
06
/12
/décembre
/2006
19:46
En mai 2001, Pfizer Inc flirtait avec ses plus hauts à Wall Street. Le géant de la pharmacie affichait alors un cours de 45 dollars, et une place parmi les dix premières capitalisations boursières mondiales. Hank McKinnell vint à diriger la firme ; en juillet 2006, les actionnaires le débarquèrent, impatients, qui ne sont jamais à trop s'atermoyer quand l’action fait long feu : le cours de Pfizer avait inexorablement chuté, perdant près de 40% ... Jeffrey Kindler prit les commandes opérationnelles et le titre alla mieux. Fin novembre, devant un parterre d’analystes, le nouveau patron releva la prévision de bénéfice par action à 2,05 dollars pour l’exercice 2006 contre 2 dollars initialement 1. Ce qui fit bon effet à l'entour.
L’occasion fut aussi aux généralités d’usage, et l’on fit cas d’un vaste programme de réduction de coûts, de restructurations ici et là, bref, de rien qui ne dérogeât aux canons de la haute industrie. Interrogé sur son très prometteur anti-cholestérol, le Torcetrapib, Jeffrey Kindler se montra confiant, sous la réserve de pure forme que les tests cliniques fussent favorables 2. On acheva la semaine gaiement, sur une hausse du titre de 3,61%, à 27,86 dollars.
Las, le samedi 2 décembre 2006, Pfizer Inc enterrait définitivement le Torcetrapib, sa molécule vedette. Une note auprès de la Food and Drug Administration signait l’arrêt de mort du médicament, coupable du décès de 82 personnes sur les 15000 conviées à l’essai : « Dans l'intérêt des patients et pour leur sécurité, tous les essais cliniques du Torcetrapib, médicament de régulation du cholestérol en cours d'étude, ont été arrêtés. ». Le lundi, les marchés financiers, inflexibles, dirent le reste : vingt milliards de dollars de capitalisation boursière s’envolèrent et le titre dévissa de 12% à Wall Street. On rappellera qu’une même mésaventure avait frappé le laboratoire concurrent, Merck, fin 2004, qui avait dû retirer en urgence son anti-inflammatoire Vioxx, après plusieurs milliers d'accidents cardio-vasculaires, dérobant 10 % du chiffre d'affaires d’un trait de plume 3. Pour Pfizer, le coup est rude : car la firme doit renoncer à un revenu estimé à 15 milliards de dollars par an, supérieur à celui du Lipitor, premier médicament anti-cholestérol du groupe dont les brevets échoiront en 2011 et auquel le Torcetrapib devait succéder. Funeste perspective …
Les géants pharmaceutiques sont tous logés à la même enseigne, engagés dans une lutte contre le temps qui n’est jamais gagnée d’avance, celle de la gestation de leurs molécules. Les médicaments qui font leurs rentes sont souvent anciens, et leur retombée dans le domaine public promet des pertes de revenus considérables. Selon les sources, l’industrie du médicament générique devrait priver Pfizer de la moitié de ses 51 milliards de dollars de chiffre d'affaires d'ici à 2011 suite à l'obsolescence des brevets, et déjà 42 milliards entre 2005 et 2008 4. C’est peu dire combien l’abandon en phase III de développement du « blockbuster 5» Torcetrapib, qui avait reçu entre 600 et 800 millions de dollars pour sa conception, promis au jackpot industriel, est un coup dur pour le laboratoire américain. Les six nouveaux médicaments qui seront mis sur le marché d’ici 2010, d’un potentiel commercial moindre, et le pipeline du groupe - 242 molécules en développement dont l’une, anti-obésité, serait aussi efficace que l’Accomplia de Sanofi 6-, ne changent rien à l’affaire : la gestation est longue, incertaine, la route semée d’embûches. Il faudra faire autrement. Pfizer sait.
Flash-back. En 1997, le laboratoire Warner-Lambert lance une molécule qui inhibe la production de cholestérol par le foie : une statine, nom de code Lipitor. Un réel succès, et une commercialisation menée tambour battant en partenariat avec … Pfizer. Fin 1999, Warner-Lambert se rapproche d’American Home Products, un autre laboratoire, dans un dessein qui ne fait pas l’affaire de William Steere, alors PDG de Pfizer : quelques 115 milliards de dollars 7 mettront un terme à l’idylle ! Aujourd’hui, près de 52 millions de personnes de par le monde sont traitées au Lipitor, généralement à vie, une véritable tirelire pour Pfizer qui empoche près de 13 milliards de dollars par an. Le fabricant du Viagra ne s’arrêtera pas là, qui rachètera peu après Pharmacia, pour 60 milliards de dollars, faisant main basse sur sa pépite, le Celebrex, anti-inflammatoire le plus vendu au monde. Une molécule défaille, un laboratoire surgit, que l’on rachète : ici comme ailleurs, c’est toujours le lion qui tient le couteau au moment du partage. Or donc, Pfizer Inc va faire ses courses.
Et les sociétés de biotechnologies, premières cibles des laboratoires à l'affût, sont concernées au premier chef : leurs cours ont flambé ce lundi 4 décembre 2006, en même temps que celui de Pfizer se consumait. NiCox, la française, se mit notamment en vedette progressant de 9% en séance, fidèle en cela aux chaleurs boursières auxquelles cette perle nous a habitués depuis le début 2006 : le 6 novembre, 12,44%, le 10 novembre 10,62%, après de bonnes nouvelles concernant le Naproxcinod, sa molécule de traitement contre l’arthrose, en phase III de développement, et sa possible commercialisation à l’horizon 2009. On sera à peine surpris que Pfizer Inc soit récemment monté en puissance à la faveur d’une augmentation de capital réservée pour 15 millions d’euros 8. Avec plus de 16 milliards de dollars de cash-flow par an 9, le géant pharmaceutique a les mains libres. Les proies ne manquent pas. NiCox ne serait qu'un hors d'oeuvre. Non, il faut penser plus gros, envisager Wyeth Parmaceuticals par exemple, 9ème groupe mondial, ou Amgen Inc, leader planétaire des biotechnologies devant Genentech ...
(1) La Tribune de l'Economie, le 01/12/2006
(2) Challenges, le 03/12/2006
(3) Libération, le 05/12/2006
(4) Le Monde, le 04/12/2006
(5) Médicament capable d'engendre un chiffre d'affaires de plusieurs milliards de dollars par an
(6) La Tribune de l'Economie, le 04/12/2006
(7) La Tribune de l'Economie, le 16/07/2002
(8) La Tribune de l'Economie, le 13/11/2006
(9) Les Echos, le 05/12/2006
(2) Challenges, le 03/12/2006
(3) Libération, le 05/12/2006
(4) Le Monde, le 04/12/2006
(5) Médicament capable d'engendre un chiffre d'affaires de plusieurs milliards de dollars par an
(6) La Tribune de l'Economie, le 04/12/2006
(7) La Tribune de l'Economie, le 16/07/2002
(8) La Tribune de l'Economie, le 13/11/2006
(9) Les Echos, le 05/12/2006