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Boursonomics

  • : Boursonomics
  • : Marche aléatoire autour des Marchés financiers et de la sphère économique. Peinture décalée d'un monde empli de certitudes qui oublie trop souvent ses leçons d'Histoire
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28 février 2009 6 28 /02 /février /2009 14:34


« L’intervention des pouvoirs publics dans le jeu conjoncturel des forces économiques ne sert pas à grand-chose. Ses interventions sont plus déstabilisantes que régulatrices et il vaut mieux que l'Etat se mêle le moins possible de faire de la politique économique 1 ». Voici résumé le néolibéralisme venu d’Amérique, sous la plume de l'un de ses importateurs français les plus zélés, Henri Lepage, conseiller d’Alain Madelin, lui-même héraut de la cause. De fait, ces thèses plurent outre-Atlantique, où l’on se hâta de liquider les anciennes coutumesLe 25 janvier 1948, le gouvernement de Robert Schuman dévalua la monnaie tricolore de 80% 1 ! Une décennie plus tard, l'avènement du nouveau franc s'accompagnera d'une dévaluation de 17,5%, perpétuant une pratique onze fois répliquée entre 1945 et 1969, qui répondait à la politique inflationniste d’après-guerre et aux priorités de la reconstruction. Mais si on dévaluait beaucoup, on contrôlait aussi beaucoup les prix…. Paul Volcker, argentier de la Fed, inaugura cette modernité en vainquant la grande inflation des années 1980 par le monétarisme, tandis que Ronald Reagan, le jour même de son investiture, consacrait l’Etat comme le problème, non comme la solution 2. Depuis lors, les marchés financiers, indociles et peu capables de vues, krachent sans cesse, asphyxiant à chaque fois l’économie réelle de leurs postcombustions. Et les banques, épicentres de la rationalité, ne doivent qu’à l’Etat d’être sauvées de pis à toute peine !

Le paradoxe n’est donc pas mince pour les tenants de la souveraineté des Marchés, et la main décidément trop visible que celle de l’Etat qui supplée leurs embardées optimales ! Mais il n’est pas suffisant encore pour dessiller les dévots libéraux, quiétistes de l’extrême et contemplateurs-nés, qui cultivent avec conviction ce qu’Hyman Minsky qualifiait d’aveuglement au désastre. Henri Pigeat, ancien patron de l’AFP, habitué des médias, est de ceux-là, qui ripoline la doxa libérale, couche après couche, sur fond de ruines fumantes. Le 20 janvier dernier, sur une radio économique, il déclare avec componction : « L’intervention de l’Etat dans les banques, cela donne le Crédit Lyonnais, je suis désolé 3 ». Nul dans l’assistance ne releva, sans doute pressé par le temps, surtout pas Alain Madelin, déjà nommé, encore présent et toujours d’accord avec quiconque stigmatise la contrainte administrative, héroïque malgré un bon quart de siècle de démentis. Ainsi, nos répétiteurs expertsFontenelle raconte que Démosthène se plaignait des oracles de Delphes, qu’il jugeait trop conformes aux intérêts de Philippe de Macédoine : « La Pythie philippise » ironisait-il ! Cependant, des siècles durant, rien d’important qui n’eût sa part de doute, ne fut entrepris sans consulter les sibylles … parviennent-ils au mépris de la réalité et au terme de débats sans contradiction sérieuse, à faire accréditer quelques idées trompeuses avec la foi de l’Occident médiéval. Cette scolastique, qui choisit stoïquement la théorie à tout prix contre les faits, est typique d’une pensée à bout de souffle, épuisée par ses propres contradictions. Car, au réel et loin du contrôle étatique, la loi bancaire capitale est celle du carnage.

La  crise actuelle force la sidération : tant de milliards vaporisés ici, tant d’autres là qu’on a peine à compter, en attendant les suivants qui ne manqueront pas d’émerger ! En avril 2008, le G8 tokyoïte donnait cent jours aux banques pour révéler leurs pertes ; peine perdue : une année après 4, les dépréciations affluent encore, et nul ne paraît à même ni souhaiter fournir un chiffre. Ainsi, la gestion du risque, un pur oxymore, dévoile-t-elle la vraie nature des institutions, celle d’une cupidité sans faille aux accents artificieux de la haute finance éclairée, qui finalement ne maîtrise rien, ne sait rien, à commencer par l’étendue de ses propres méfaits. « Greed is good 5 » lançait Gordon Gekko dans le film « Wall Street », permis de dévaster 6 en poche. Fin septembre 2008, Christine Lagarde évaluait les pertes des banques privées tricolores à 20 milliards d’euros pour l’année écoulée 7. En janvier 2009, Gordon Brown, qui avait déjà viré sa cuti en nationalisant Northern RockNorthern Rock ! Voilà un label qui avait du souffle, oserait-on dire du coffre ! Hélas, la huitième banque du Royaume-Uni est au tapis : la peste du subprime l’a prise l'été dernier, sans crier gare, violente d'humeurs qui suppurent encore et nous alarment. La Banque d’Angleterre oxygéna l'affaire fin septembre, mit 26 milliards de livres au pot …, dénonçait l’irresponsabilité des banques britanniques, se résolvant à prendre sous son aile Royal Bank of Scotland après que la rolls écossaise eut annoncé une perte record de 31 milliards d’euros 8. La Suisse plaça UBS dans le peloton européen, l’Allemagne, Hypo Real Estate. Quant à l’ex-belgo-néerlandaise Fortis, dopée par quelque trois cents pied-à-terre offshores 9, sa prodigieuse vista escamota 19 milliards d’euros 10.

Mais rien ne vaut qui ne vienne d'Amérique. En mars 2008, Bear StearnsLa réussite, spécialement dans les affaires d'argent, est une source permanente d'émerveillement pour la multitude ; la fascination qu'elle exerce est à l'échelle des capitaux brassés, qui voltigent par milliards, sans relâche, et nul ne saurait se représenter que la magnitude de ce tourbillon financier pût dériver d'individus au génie moins éclatant …
, primo-infecté, échappa au désastre par la grâce de la Fed qui gagea une trentaine de milliards de dollars d’actifs illiquides. En mai, devant les culbutes de maisons de second rang, la Réserve Fédérale apporta 150 milliards de garantie aux organismes de crédit et 100 autres aux banques de dépôt. Rien n’y fit. En juillet, la banque californienne Indymac rendit son tablier, s'affichant comme le plus gros fiasco bancaire du dernier quart de siècle. La descente aux enfers continua, nonobstant les collatéralités non bancaires. Le 6 septembre, Lehman Brothers se dit en perdition : 613 milliards de dollars de dettes, 85 milliards de papier toxique sous dossier dont 57 dérivant de subprimes à mettre au clou 11 ! Bank of America et Barclays candidatèrent : le Financial Times, optimystique, y crut, le 12 septembre, qui écrivit : « Il est temps pour les autorités de se retirer (…) Ce qui a été fait jusqu’à présent devrait être suffisant ». Las, les repreneurs renoncèrent, et Lehman disparut. Entretemps, Merrill Lynch publia une cinquantaine de milliards de dollars de perte depuis l’été 2007 4 ; et plus récemment, Citigroup, qui acheva le Glass Steagall Banking Act, une trentaine de mieux. En somme, de la belle ouvrage que l’oncle Sam fut prié d’équarrir de plans multimilliardaires, au prix de contorsions ubuesques 11. Sauf à courir à la ruine.

Le schuss bancaire est une tradition étasunienne assez ancienne. Le krach de 1907, aussi appelé « Panique des banquiers », étrenna la propension de la profession à escamoter consciencieusement la ressource financière. La crise de 1929 fut à cet égard exemplaire, qui expédia près de 10.000 banques privées
- Le Glass Banking Act -

(...) Les victimes du mégakrach de 1929, consentantes ou non, furent innombrables, qui eussent préféré de beaucoup que leur épargne fût garantie plutôt que d’être vouée au néant ! Le ravage bancaire perdura jusqu'à la déferlante de liquidations de 1933. Franklin Roosevelt arrêta l’hémorragie avec le Glass Banking Act : la séparation des banques de dépôt de leurs filiales d’affaires, y tiendra la place la plus remarquée par l’Histoire ; surtout, l’assurance des dépôts bancaires déboucha sur la naissance d’une Federal Deposit Insurance Corporation chargée de liquider l’actif des banques faillies et de garantir au mieux les avoirs de tous les déposants. Tout alla mieux pendant un demi-siècle (...)

- Boursonomics 21/04/2014 -
ad patres, parmi lesquelles nombre avaient jeté de l’huile sur le feu en prêtant à qui voulait. La Reaganomics ne fut pas non plus chiche de traumas bancaires, comme celui de la Continental Illinois en 1984, celui des Caisses d’Epargne dans les années 1990 qui coûta quelque 200 milliards de dollars au contribuable américain 12. La finance métabolise ses propres humeurs mortifères ; ses collapsus ne laissent jamais indifférents l’économie à l’entour, qui imposent aux Etats, bons samaritains, de sauver la mise à chaque fois : la position centrale des fauteurs de troubles est hélas sans alternative possible. En sorte que la morgue des banquiers sauvés des eaux, incidemment des citoyens de passage, marchandant sans vergogne les bonus, les primes et les dividendes des uns et des autres, a ceci d’irréel que quelques-uns de ces combattants auraient mal survécu, ou pas du tout, à l’indifférence de la puissance publique. En France, le bon sens près de chez vous se fit tirer l’oreille ! L’individualisme est au coeur du système, et l’argent, au coeur du coeur. « Qui tombe meurt 13 ».

La finance surpasse désormais l’économie - quatre fois le PIB mondial. Outre-Manche, les échanges financiers sont quinze fois plus importants que les échanges de biens et services 14. La débâcle est à l’avenant, et l’Etat, ce partenaire honni, tracassier, mauvais gestionnaire quoique libéral, bref cet empêcheur de tourner en rond, prié de remettre au pot. Les tendances suicidaires du système commandent plus que jamais au confinement de la finance à la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter : l’arrière-plan 15. Banques comprises.

 

 


 

(1) Henri Lepage (1978) - « Demain le capitalisme »
(
2) Investiture de Ronald Reagan, le 20/01/1981 - « L’Etat n’est pas la solution de nos problèmes, il en est la cause »

(3) BFM Radio, le 20/01/2008 – Emission « Good Morning Business » vers 09H50 ;
(4) Frédéric Lordon (2008) - « Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières »

 

Page 118 - « En juillet 2008, après tout de même un an de crise générale et, pour ce qui la concerne, 47 milliards de dollars de pertes, Merrill Lynch en est encore à tourner autour du pot et, dix jours après l’annonce de ses résultats du deuxième trimestre, - 9,4 milliards supplémentaires de dépréciation qui avaient fait croire  aux investisseurs que cette fois-ci le fond avait été atteint – à s’aviser d’un «  petit oubli » de 5,7 milliards de plus ... ».

 

(5) « L’avidité est bonne» - Michael Douglas (Gordon Gekko) dans le film d’Oliver Stone Wall Street (1987)
(6) L’expression est de John Kenneth Galbraith (1993)
(7) RMC Info, le 22/09/2008

 

« Les banques françaises ont subi des pertes, je ne le cache pas. Elles ont subi environ 20 milliards de pertes pour l'année de crise que nous venons de vivre et la faillite de Lehman Brothers leur a coûté 1,5 milliard. On sait très bien où sont les pertes, de combien elles sont, et ça les a entraînées, pour certaines à recapitaliser. Elles ont des actifs largement suffisants, compte-tenu de la taille de leur bilan ».

 

(8) Les Echos, le 20/01/2009 - « La perte de RBS en 2008 pourrait atteindre 28 milliards de livres »
(9) Le Monde Diplomatique, décembre 2008 - « Un inextricable maquis de filiales »

 

« … Selon un document tenu à jour par le Centre for Research on Multinational Corporations, Fortis détiendrait en effet pas moins de trois cents établissements enregistrés dans les meilleures places offshore de la planète. Quelques-uns portent fièrement leur blason : Fortis Intertrust (Îles Vierges britanniques), Fortis Investment Management (Îles Caïmans), Fortis Commercial Finance (Luxembourg), Fortis Private Wealth Management (Antilles néerlandaises), Fortis Foreign Fund Service (Suisse) … Dans la plupart des cas cependant, rien ne laisse deviner le fil qui relie ces structures exotiques à leur maison-mère. Ainsi de JEB Ltd au Libéria, de Comanche Ltd aux Bahamas, de Jasmette Valley Inc au Liechtenstein, de Swilken Holdings au Panama, etc. La liste court sur dix pages ... ».

 

(10) Les Echos, le 22/01/2009 - « Fortis Banque Belgique estime ses pertes 2008 à 19 milliards d'euros »
(11) Jacques Attali (2008) - « Après la crise »

 

Page 109 - « Le plan Paulson est assorti de quelques conditions suspensives : les revenus des dirigeants devront être limités ; les agences gouvernementales entreront dans les conseils des entreprises aidées ; les fonds prêtés seront remboursés par les revenus futurs. Le Sénat hésite. Beaucoup sont sincèrement choqués par ce qu’ils assimilent à du socialisme. D’autres marchandent cyniquement leurs voix : on décide ainsi de l’extension de la taxe sur le rhum à Porto Rico et aux Îles Vierges, de la possibilité pour les circuits de courses automobiles d’étaler leurs pertes sur sept ans, du transfert de certaines taxes à l’importation de produits lainiers au Fonds Lainier … ».

 

(12) Joseph Stiglitz (2004) - « La grande désillusion »
 

Page 117 - « Pour ne citer qu’un seul exemple, la scandaleuse débâcle des Caisses d’Epargne aux Etats-Unis, bien qu’elle ait constitué l’un des facteurs clefs qui ont déclenché la récession de 1991 et qu’elle ait coûté au contribuable américain plus de 200 milliards de dollars, a été, parmi les opérations de sauvetage suscitées par la déréglementation, l’une des moins chères (en pourcentage du PIB), et la récession aux Etats-Unis, l’une des plus douces si on la compare à ce qui s’est passé dans d’autres économies qui ont subi des crises semblables … ».

 

(13) François Mitterrand (1978) - « L’abeille et l’architecte »
(14) Alternatives Economiques, Hors Série 1er trimestre 2008
(15) Adaptation personnelle d’une citation de John Maynard Keynes extraite de « Essays In Persuasion »

 

« Ainsi donc, l’auteur de ces essais, malgré tous ses coassements, continue d’espérer et de croire que le jour n’est pas éloigné où le Problème Economique sera refoulé à la place qui lui convient : l’arrière-plan … ».

 

 


 

Illustration : L'argent est plat afin d'être empilé (proverbe écossais)

 

 

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